CONTRE LA BOURSE DU PROFIT,
UNE BOURSE DES IDÉES

1] 

DE L'IMPERTINENCE DES JOURNALISTES

2] 

DÉCLARATION UNIVERSELLE
DES DROITS DE L'ÊTRE HUMAIN

3] 

ÇA S'EST PASSÉ UN DIMANCHE…

4] 

HUMILITÉ

   
   
   
 

CONTRE LA BOURSE DU PROFIT,
UNE BOURSE DES IDÉES
 

On a assisté, en France, non à une victoire de l’extrême droite mais à l’effondrement d’un système politique qui, sous couvert de représenter les citoyens, ne représente plus que lui-même.

Plus soucieux de la gestion de leurs émoluments et de leurs rivalités de pouvoir que du bien public, les hommes politiques se sont coupés des réalités sociales et des problèmes de l’existence quotidienne. La crise de la politique spécialisée dans la gestion de la faillite sociale est le reflet de la crise inhérente à une économie qui n’investit plus dans la production des secteurs vitaux, ferme les usines, démantèle les services publics et, se consacrant principalement à la spéculation boursière, ne vise plus qu’à arracher, au coup par coup, des profits à court terme.

Depuis des décennies, les électeurs sont confrontés à une alternance où l’incompétence de gauche et l’incompétence de droite se succèdent immuablement avec, à sa traîne, la corruption, la surenchère démagogique, le clientélisme, l’obédience aux multinationales. L’écœurement, le ressentiment et la fascination masochiste que provoquent tant de cynisme, de mépris, d’ignorance de la part de ceux qui prétendent nous gouverner ne font pas seulement le lit de l’extrême droite la plus bête d’Europe, ils risquent aussi d’abêtir la foule qui élève, dans un désarroi émotionnel similaire, les barricades de la raison et de l’humanisme contre la barbarie raciste, xénophobe, concentrationnaire d’un Père Ubu, parfaitement rompu aux manipulations médiatiques.

Le « front uni » contre le populisme n’est pas un programme, c’est une dérobade qui risque de se payer cher si une nouvelle forme de gouvernement du bien public n’est pas mise en place par une politique de proximité rencontrant les préoccupations de chacun, dans son village ou son quartier.

L’individu a toujours été au service de la communauté, il est temps que la communauté soit au service de l’individu. Il est temps qu’à l’aveuglement grégaire se substitue la conscience individuelle. Le refus de la société marchande implique la création d’une société vivante.

Nous n’écraserons les factions du profit et de la mort qu’en créant partout les conditions d’une vie meilleure. Considérant que l’imagination, la créativité, la volonté d’améliorer la vie quotidienne et son environnement font cruellement défaut aux forces les mieux disposées au changement de société, nous souhaitons en appeler à l’inspiration créatrice des hommes, des femmes, des enfants en publiant et diffusant toutes recherches visant au seul progrès qui nous intéresse : le progrès humain des comportements, des mœurs, des sociétés.

Contre la Bourse du profit, c’est une bourse des idées que nous voulons mettre en œuvre en collationnant un ensemble de réflexions, de rapports d’expérience, de projets d’amélioration de la vie quotidienne.

Une première liste de thèmes

  • invention, mise en œuvre, modes d’emploi et financement d’énergies.
  • innovations thérapeutiques. Comment les soustraire à la dictature du profit.
  • développement et financement de l’agriculture naturelle.
  • comment garantir la sécurité des citoyens par le refus de la prédation généralisée et contre l’idéologie sécuritaire et le marché de la peur ; comment créer des territoires libérés du fétichisme de l’argent.
  • projets de reconstruction environnementale, îlots boisés, potagers publics, rues restituées aux promeneurs et aux enfants et libérées de l’ennui et de son agressivité, élimination des ghettos de riches et de pauvres.
  • fin de l’enseignement concentrationnaire : comment exiger la multiplication de petites entités scolaires avec des classes d’une douzaine d’élèves et des accompagnateurs d’apprentissage plus nombreux, mieux qualifiés et mieux payés.
  • allocation de base accordée à tous les citoyens dès l’âge de 18 ans.
  • comment assurer le financement des secteurs publics par une taxe imposée aux spéculations boursières et aux revenus élevés.
  • tribune des inventeurs.
  • tribune de défense internationale de la femme et de l’enfant.
  • comment assurer la gratuité des transports publics.
  • dépassement de la démocratie parlementaire par la démocratie directe telle qu’elle s’exercerait dans les assemblées citoyennes et selon le principe « l’humanité prime le nombre ». (De quelque adhésion massive qu’ils se prévalent, nous refusons les édits de la barbarie et des entreprises mortifères. Il n’existe ni liberté, ni loi, ni droit privé ou public, ni excuse, ni protection, ni réserve, ni exception qui puisse susciter, autoriser, justifier, tolérer un acte contraire à l’humanité, qu’il soit le fait d’un gouvernement, d’un État, d’une nation, d’une région, d’une ethnie, d’une tribu, d’une collectivité, d’une famille, d’un groupe, d’un individu. À chacun est dévolu le droit de le dénoncer et d'intervenir avec les moyens dont il dispose et le secours de la solidarité qu’il éveille, car il n’est personne qui ne se trouve concerné par une barbarie, soit-elle perpétrée aux dépens d’un seul).
  • comment éviter dans les assemblées citoyennes les pièges du corporatisme, du protectionnisme, du régionalisme, de la bureaucratisation de type syndical ou politique ; comment passer d’une position défensive (contre des nuisances locales, par exemple) à la création d’un nouveau tissu social.
  • comment assurer la liaison constante entre des projets locaux et le caractère global des problèmes posés par le totalitarisme de l’économie mondiale.















   

.

1]

DE L’IMPERTINENCE DES JOURNALISTES

Quelle audace ! Incisifs, pugnaces, combatifs, refusant les faux-fuyants, les réponses tronquées, les échappatoires trop commodes, revenant sur le passé, les affaires, les dérapages, les jeux de mots ignobles, les journalistes nous ont donné, ces derniers jours, une image revigorante du métier d’intervieweur, de cet irrespect qui fait les bonnes questions, de cette impertinence qui oblige aux réponses éclairantes.

Bravo ! Jean-Marie Le Pen n’a qu’à bien se tenir.

Mais pourquoi diable avoir attendu la douche froide du 21 avril pour rompre ainsi avec cette retenue, pour ne pas dire cette complaisance, qui caractérisent si souvent les rapports entre le monde de la presse et celui de la politique ? Pourquoi ne pas avoir usé de cet esprit frondeur, dérangeant, de ce mordant face à un Jacques Chirac, à ses revirements, à ses promesses non tenues, à ses égarements, à ses indélicatesses ?

Comme s’il s’agissait de se faire pardonner on ne sait quelles "fautes" : le suivisme à l’égard des sondages, le traitement sensationnaliste de l’insécurité… Comme si, pour se rattraper, on en rajoutait, au point de confondre parfois le devoir d’informer et le besoin de se justifier. Comme si l’on devait se résoudre à répondre aux simplismes ravageurs du Front national par des arguments qui relèvent au mieux de la propagande électorale ou du marketing politique - le "nouveau" Chirac - , au pire d’un racisme à rebours : ce "facho" de "grand blond".

On en fait trop, au mépris des règles d’équité dont doit bénéficier tout candidat, quel qu’il soit. Que si peu de commentateurs aient relevé ce qu’il y a de choquant dans le refus de Jacques Chirac de débattre avec le leader de l’extrême droite est, de ce point de vue, éclairant et instructif. Comment ne pas souligner la mauvaise foi, la tromperie, qui consistent à tenter de nous faire croire que le refus de tout compromis avec le Front national doit conduire nécessairement au refus de tout débat ? Beau tour de passe-passe ! Comme si l’on ne devait débattre qu’entre gens bien élevés… C’est vrai qu’il est assez commode de choisir ses adversaires. Pratique mais guère démocratique.

Discutable du simple point de vue du respect des électeurs, ce refus est, de plus, politiquement stupide : c’est justement cette impression d’un traitement inégal de la part des médias, selon que l’on appartient ou non à la classe dirigeante, qui alimente notamment le vote protestataire. Laissons aux professionnels de l’antifascisme les imbécillités du genre "pas de liberté pour les ennemis de la liberté" qui redeviennent de mode sur le pavé parisien et répétons qu’il n’y a pas de petits arrangements avec les principes, fût-ce au nom des meilleures causes.

Alors que le Front national renoue avec la violence faite à la presse - une équipe de Canal + a été malmenée lors d’une conférence de presse au siège de ce parti à Saint-Cloud comme l’ont été une quinzaine de journalistes ces dernières années, parfois plus violemment encore -, il serait judicieux que les journalistes évitent le piège tendu en permanence par ce spécialiste des médias qu’est le chef de file de l’extrême droite. Pour y échapper, qu’ils n’offrent pas d’eux-mêmes une image arrogante, qu’ils n’adoptent pas un comportement qui confond trop souvent un nécessaire travail d’explication sur le Front national, son histoire, son programme, les hommes qui l’animent - ce que l’on a pu lire depuis quelques jours dans les colonnes de nos meilleurs titres - et une agressivité, un militantisme de la 25e heure qui ne peuvent qu’alimenter encore le sentiment d’abandon, de mépris qui nourrit les scores de Jean-Marie Le Pen.
























   

.

2]

DÉCLARATION UNIVERSELLE
DES DROITS DE L’ÊTRE HUMAIN

  • Tout homme a le droit de devenir un être humain
    et d’être traité comme tel.
  • Tout être humain a droit à l’indépendance. Considérant que le temps des maîtres et des esclaves est désormais révolu, nous tenons pour une prérogative irrévocable que nul ne soit plus jamais astreint à obtempérer à un ordre ; à s’agenouiller devant une autorité, quelle qu’elle soit, sociale, politique, idéologique, religieuse, économique, scientifique, artistique ; à courber la tête en face d’un prétendu supérieur ; à manifester des marques de respect ; à s’inféoder à une personne ou à un système.
  • Tout être humain a droit au savoir. Chacun a le droit d’être instruit gratuitement, sans distinction de sexe, d’âge, de capacité individuelle, de spécificité géographique, en l’ensemble des connaissances anciennes et nouvelles, pratiques et théoriques, concrètes et spéculatives, littéraires, artistiques, scientifiques et technologiques.
  • Tout être humain a droit au bonheur. Le bonheur de l’individu doit être la base et le but de toute organisation sociale.
  • Tout être humain a droit à la libre disposition de son temps. Le temps imparti à l’existence s’étant trouvé réglé, refoulé et aliéné, jusqu’à ce jour, par le temps dû au travail, nous sommes en droit de le reconquérir, afin de le restituer aux sollicitations d’une vie à laquelle il a été abusivement arraché.
  • Tout être humain a droit de se déplacer où et comme il l’entend. Nul ne peut être contrarié dans la libre disposition de soi. Chacun a donc le loisir de se déplacer comme il l’entend en vertu d’un droit de nomadisme que ni frontières, ni contrôles, ni entraves d’aucune sorte ne sauraient limiter.
  • Tout être humain a droit à la gratuité des biens utiles à la vie, à la gratuité des modes de transports mis en place par et pour la collectivité, à la libre disposition d’un logement accordé à ses désirs.
  • Tout être humain a droit à une nourriture saine et naturelle. Nul n’a à payer par quelque servilité, redevance ou obligation, le droit de satisfaire le besoin de se nourrir. Par besoin, il faut entendre non seulement l’apport des éléments nutritifs nécessaires à la santé du corps mais aussi la qualité et la variété des produits cultivés selon ce que la nature offre de meilleur et le génie humain de plus inventif.
  • Tout être humain a droit à la santé. Le droit à la santé n’est qu’une conséquence du droit au bonheur.
  • Tout être humain a le droit de jouir gratuitement des ressources et des énergies naturelles.
  • Tout être humain a le droit d’exercer un contrôle permanent sur l’expérimentation scientifique afin de s’assurer qu’elle sert l’humain et non la marchandise.
  • Tout être humain a le droit d’être lui-même et de cultiver la conscience de sa singularité. La différence entre les individus tient à la diversité des modes de vie qu’ils choisissent. Elle ne peut se confondre avec les classifications auxquelles les civilisations marchandes recourent pour ranger leurs sociétaires selon les hiérarchies prescrites par le système d’exploitation : degré de pouvoir et de richesse, couleur de peau, âge, sexe, caractère, origine géographique, état social, idéologie, religion culture, lignage familial, état de santé.
  • Tous les êtres humains ont le droit de se grouper par affinité et de substituer aux gouvernements étatiques une fédération mondiale de petites collectivités locales où la qualité des individus garantit l’humanité des sociétés. L’inhumanité ne se discute pas, elle se refuse. Aucune majorité n’a pouvoir d’imposer les décrets de la barbarie. Le choix humain d’un seul a plus de poids que l’inhumaine décision de beaucoup. La qualité de vie abroge la dictature du nombre et du quantitatif.
  • Tout être humain a le droit de construire sa propre destinée.
  • Tout être humain a le droit de créer et se créer. Créer est le propre de l’homme. l’exercice de la création est la seule activité qui soit à hauteur de nous dispenser de travail et de révoquer la servile habitude de quémander aide et assistance, si longtemps instillée par l’exploitation de l’homme par l’homme.
  • Tout être humain possède le droit de s’ingérer et d’intervenir partout où le progrès de l’humain est menacé. Il n’existe ni liberté, ni loi, ni droit privé ou public, ni excuse, ni protection, ni réserve, ni exception qui puisse susciter, autoriser, justifier, tolérer un acte contraire à l’humanité, qu’il soit le fait d’un gouvernement, d’un état, d’une nation, d’une région, d’une ethnie, d’une tribu, d’une collectivité, d’une famille, d’un groupe, d’un individu. A chacun est dévolu le droit de le dénoncer et d’intervenir avec les moyens dont il dispose et le secours de la solidarité qu’il éveille, car il n’est personne qui ne se trouve concerné par une seule barbarie, soit-elle perpétrée aux dépens d’un seul.
  • Tout être humain a le droit d’améliorer son environnement afin d’y vivre mieux.
  • Tout être humain a droit aux égards dus à sa sensibilité. Nul n’a à subir le mépris, la menace, la culpabilisation, le reproche, le jugement. Personne ne doit tolérer d’être opprimé, brimé, bafoué, harcelé, commandé, gouverné, insulté, méprisé, traité avec morgue ou condescendance. Chacun est en droit d’en appeler à la solidarité sociale pour mettre fin aux agissements des gens de pouvoir et aux conditions qui leur confèrent une quelconque autorité.
  • Tout être humain a droit à une vie et une mort naturelles. Nous voulons associer impérativement à la création d’un style de vie le souci thérapeutique de repousser l’échéance de la mort jusqu’aux frontières que la nature lui assigne.
  • Tout être humain a droit à la paresse. Le privilège de la paresse affinée, c’est d’empêcher la paresse du désir.
  • Tout être humain a droit à l’effort et à la persévérance.

















   

.

3a]


ÇA S’EST PASSÉ UN DIMANCHE…

Ce n’est pas pareil, ce n’est pas le fascisme.

Non, c’est le Canada Dry du fascisme. Pourtant, l’impensable est advenu et se présente sous les traits goguenards d’un bonimenteur de café du Commerce - on dirait de "brasserie" si nous parlions allemand.
 

Ce n’est pas pareil. On vous dit que ce n’est pas pareil.
Et puis l’histoire ne recommence jamais de la même manière. D’ailleurs, les circonstances ne sont pas semblables : il n’y a pas de chômage ni d’incivilités… et la France est beaucoup trop fine pour se laisser avoir par un discours "populiste" du genre enjôleur, vulgaire et menteur. Seuls les chômeurs et les "sans grade" ont voté
pour lui à 30%.
 

Ce n’est pas pareil…

Et pourtant, à lire les derniers discours, on reconnaît une musique déjà entendue, des mots déjà lus dans des livres d’une histoire qu’on n’enseigne déjà plus. Ce sont les mêmes manières rassurantes pour passer de rien à la majorité au Parlement.
La même façon de dire qu’on vient du peuple, qu’on parle au nom du peuple, qu’on exprime la volonté du peuple. C’est la même mécanique de la progression avec les mêmes acteurs : les sociaux-démocrates, les communistes, le centre et la droite…


Et les autres, rigolards.









   

.

3b]

RESUMÉ D’UNE PAGE DE MANUEL D’HISTOIRE CONSACRÉE AU 20e SIÈCLE


En 1928, en Allemagne, après avoir raté cinq ans plus tôt un putsch minable, un SDF marginal de Bavière, né en Autriche en 1889, fait 2,6% aux élections législatives. La classe politique considère les partisans du marginal comme des clowns.

Après le putsch, le gouvernement allemand a mis le marginal en prison et songé à lui faire subir un traitement psychiatrique. Ce marginal, qui se prétend artiste, s’adonne à l’aquarelle et remplit plusieurs cahiers d’écolier de sa prose confuse et obsessionnelle (éditée, ce sera Mon Combat).

A ces élections de 1928, le social-démocrate Streseman a été renversé par une majorité plutôt conservatrice. Le maréchal Hindenburg, vieux soldat de l’Empire détruit par la défaite de 1918, est président de la République. La campagne a porté sur deux thèmes : l’insécurité et le chômage (dont les causes sont attribuées aux influences étrangères).

 

En 1930, nouvelles élections.
Le petit parti du taré de Bavière approche des 20% et rentre au Parlement avec 107 députés. Mais personne ne s’en effraie : il faut avant tout respecter la démocratie. La droite est heureuse de s’appuyer sur un bon report de voix.

 

En 1932, à l'élection présidentielle par suffrage indirect, le raté (le "caporal de Bohême", comme l’appelait Hindenburg) arrive en deuxième position. Au second tour, Hindenburg gagne avec 53% des voix. Par esprit de classe, les communistes allemands ont maintenu leur candidat, Thaelmann, mais ont perdu 1,2 million de suffrages entre les deux tours. Le monde entier respire… et s’habitue à l’air modeste et à l’imparfait du subjonctif remarquablement manié par le marginal aux courtes moustaches et à la mèche rebelle.

 

Aux législatives qui suivent, malgré une forte abstention (34%), le parti du marginal Hitler frôle la majorité et le maréchal Hindenburg appelle le "caporal de Bohême" à la chancellerie du Reich.







   

.

3c]












PÉDAGOGIE A L’USAGE DES PETITS LAPINS


Janvier 1933 : Hitler devient chancelier du Reich

 

Un mois plus tard

 

5 mars 1933 : Elections législatives.


Les nazis obtiennent 44% des voix soit, en nombre: 17 217 180 bulletins (5 500 000 suffrages supplémentaires).

Les socio-démocrates se maintiennent avec 7 100 000 voix. Les communistes en perdent un million et se retrouvent à 4 800 000. Les Catholiques bavarois et le Parti du Centre ont respectivement 5 500 000 et 4 500 000. Les nationalistes (on dirait aujourd’hui les souverainistes) ne progressent que de 200 000 voix et totalisent 3 160 000 voix (soit 8% des suffrages). Ce sont eux qui vont faire la décision. Leurs 52 députés rejoignent les 288 nazis et donnent ainsi la majorité (16 voix) à la coalition conduite par Hitler…

Cependant, celui-ci ne veut pas sortir de la "légalité" : il imagine de faire voter un "décret d’habilitation" lui donnant le pouvoir total pour "quatre ans" et mettant le nouveau Parlement "en vacance". Pour ce, il lui est nécessaire d’obtenir une majorité des deux tiers. Il l’obtient en faisant arrêter les 81 députés communistes (suspectés de complicité dans l’incendie du Reichstag - 27 février 1933) et en interdisant l’entrée de la salle provisoire (opéra Kroll) à certains députés socio-démocrates. Seul, le socialiste Otto Wells peut se dresser contre Hitler :

" Nous… faisons le vœu solennel de défendre les principes d’humanité et de justice, de la liberté et du socialisme. Aucun acte d’habilitation ne peut vous donner le pouvoir de détruire des idées qui sont éternelles et indestructibles."

Hitler trépigne de rage :

" L’étoile de l’Allemagne se lève et la vôtre se couche. Le glas de votre mort a sonné. Je ne veux pas de vos voix. L’Allemagne sera libre, mais sans vous !"


L’acte d’habilitation de Hitler est acquis par 441 voix contre 84 voix des socio-démocrates encore libres. La droite "souverainiste" et le centre se sont couchés.


… et après


Les communistes ont été anéantis. Ceux qui n’ont pas été assassinés dans des conditions horribles sont conduits dans l’un des premiers camps de concentration ouverts sur les landes de Luneburg (nord-ouest de l’Allemagne) ou à Sachsenhausen - ou encore sur des pontons (vieux rafiots) en mer Baltique.

Les socialistes vont bientôt les rejoindre (tout ça en mai-juin 1933) après avoir cru qu’ils pourraient composer avec les nazis. Ils ont cessé de voter contre ce que Hitler leur fait avaler. Ils proposent des compromis. Hitler les injurie. La police saisit leurs journaux et confisque leurs biens. Le parti social-démocrate est dissous car "subversif et hostile à l’Etat".

Quand les militants et dirigeants socio-démocrates arrivent à leur tour dans les camps, les gardiens (qui sont aussi la première version des SS) les rouent de coups et les livrent… aux détenus communistes en excitant les excités (la vieille haine stalinienne contre les "sociaux-traîtres" joue à plein).

C’est à cette époque-là qu’est composé le Chant des Marais sur un vieil air populaire allemand.


… et après

 

1er mai 1933 :
Recevant les délégués ouvriers rassemblés à Berlin-Tempelhof pour la "Journée du Travail national", Hitler dit :

" Vous verrez combien est inique et injuste l’affirmation selon laquelle la révolution est dirigée contre les travailleurs allemands. Tout au contraire (…) Honneur au travail et respect aux travailleurs ! "

 

Un peu plus tard, le Dr Ley (à qui Hitler a confié la direction du Front du Travail) :

" Travailleurs! Vos institutions sont sacrées pour nous autres nationaux-socialistes. Je suis moi-même le fils d’un pauvre paysan et je comprends la pauvreté… je sais comment le capitalisme anonyme vous exploite.
Travailleurs! je vous le jure, non seulement nous maintiendrons tout ce qui existe, mais nous étendrons encore la protection et les droits des travailleurs. "

Trois semaines plus tard… la grève devient illégale et les conventions collectives sont supprimées. Seul le patron a le droit désormais de décider. Les syndicats sont supprimés (leurs dirigeants assassinés ou emprisonnés).

 

… et après

 

Discours du 6 juillet 1933 :
Hitler parle en ces termes aux gouverneurs des Etats allemands (depuis peu choisis parmi les nazis) :

" Le flux de la révolution (nationale-socialiste) doit être guidé dans le canal sans danger de l’évolution. Nous ne devons pas congédier un homme d’affaires s’il est un bon homme d’affaires, même s’il n’est pas encore un national-socialiste, et surtout pas si le national-socialiste qui doit prendre sa place ne connaît rien aux affaires. (…) Les points de notre programme ne nous obligent pas à nous conduire comme des imbéciles et à tout bouleverser mais à réaliser soigneusement et prudemment nos projets. A la longue, notre pouvoir politique sera d’autant plus sûr que nous aurons mieux réussi à lui donner un soutien économique. "


… et avant

 

Citation de William Shirer extraite de Le IIIe Reich (Stock, 1967), page 263.

" Le soir du 10 mai 1933, environ quatre mois et demi après que Hitler fut devenu Chancelier, une scène se déroula à Berlin comme on n’en avait pas vu dans le monde occidental depuis le Moyen Age. Vers minuit, une retraite aux flambeaux dans laquelle défilaient des milliers d’étudiants vint s’arrêter sur une place de Unter den Linden, en face de l’Université de Berlin. A l’aide des torches, le feu fut mis à un énorme tas de livres rassemblés là et, quand les flammes montèrent, d’autres livres furent jetés dans le brasier, et finalement quelque vingt mille volumes furent brûlés. L’incendie des livres avait commencé.

" Parmi ces livres jetés dans les flammes à Berlin ce soir-là par de joyeux étudiants, sous l’œil approbateur du Dr Goebbels, il y en avait qui avaient pour auteurs des écrivains de réputation mondiale. Parmi les écrivains allemands, il y avait Thomas et Heinrich Mann, Léon Feuchtwanger, Jakob Wassermann, Arnold et Stefan Zweig, Erich Maria Remarque, Walther Rathenau, Albert Einstein, Alfred Kerr et Hugo Preuss - ce dernier étant le lettré qui avait rédigé la Constitution de la République de Weimar. Mais on ne brûla pas seulement des ouvrages de douzaines d’écrivains allemands. Bon nombre d’auteurs étrangers étaient, eux aussi, compris dans la liste : Jack London, Upton Sinclair, Margaret Sanger, H.G. Wells, Havelock Ellis, Arthur Schnitzler, Freud, Gide, Zola, Proust. Suivant les termes d’une déclaration d’étudiants, était condamné à être détruit par les flammes tout livre qui a une action subversive sur notre avenir ou porte atteinte aux racines de la pensée allemande, du foyer allemand, et des forces motrices de notre peuple. "

… on peut aussi méditer ceci :

 

" L’âme du peuple allemand peut de nouveau s’exprimer. Ces flammes n’illuminent pas seulement la fin définitive d’une ère ; elles éclairent aussi l’ère nouvelle. "

Discours du Dr Goebbels, ce même soir, à ces mêmes étudiants.

 

(à suivre, car à chaque jour suffit son cauchemar)
















   

.

4]







HUMILITÉ

Si l'on parvient à casser la sombre canaille Le Pen dans les urnes, nous ne serons qu'au début d'une longue marche. Et un début ne commence pas par des incantations. Des certitudes lancées aux masses ignorantes et coupables. Des concepts de cristal jetés comme des miettes d'intelligence à ce "salaud de peuple".

Commençons par le B A BA et quelques exercices d'humilité. D'écoute. De réapprentissage de la démocratie et de la république. Marcel Gauchet a raison : nous apprenons en ce moment à vivre la démocratie vraie. Dure . Pas celle bien verrouillée par les certitudes de progrès et de science d'avant-hier. Non, une démocratie dépouillée des transcendances. Des disciplines de parti, de croyances, d'obeissance, et d'idéologie. Une démocratie nue. Et c'est difficile. Nous avons souhaité une société ou l'individu soit au centre, le réseau en travers et la politique sur les marges. Très bien. Ça a du bon mais ça a aussi un prix. Celui de la désarticulation des unités et des évidences partagées, de la fragmentation du Droit, de l'explosion des petites maisons d'intolérance, religieuses, sociales, corporatives, où nous nous trouvons au chaud ou au froid. Le plus souvent au tiède. Reste à trouver de la colle pour que la tour de Babel tienne debout. Pour que le mille-feuille soit digeste. Pour que la pièce montée implique les uns et les autres : la crème fouettée des élites, le caramel des sous-officiers et la farine des faubourgs.

Ce qui est en cause, ce n'est pas le capitalisme en soi, la flexibilité en soi, l'État providence en soi, l'individualisme en soi, la précarité en soi, c'est d'abord le processus de relégation dans lequel nous plongeons les micro-réseaux qui ne font plus société. Sans diplôme, un individu est aujourd'hui cantonné au même sous-statut social toute sa vie sauf miracle. Sans revenu suffisant, un petit proprio qui a épargné toute sa vie n'a pas les moyens de s'extraire d'un territoire où règne l'insécurité sociale et physique. A l'autre bout de la chaîne, l'élite est reléguée dans une sphère confortable. En stabulation.

Cette castisation des statuts a contribué à faire infuser les contentieux, les peurs, les craintes et les muettes tragédies sans que jamais elles ne trouvent vraiment de relais. Le vote Le Pen, c'est aussi ça. Ce thermomètre de notre cécité à tous. Il est frappant d'observer dans les témoignages ces drames recuits, ces sentiments d'abandon, de trahison qui n'expriment rien d'autre qu'une demande d'écoute déçue depuis des décennies. Le tout mis bout à bout fait poudrière car toutes ces exigences sont contradictoires. Or l'État providence, contrairement à ce que pense la gauche, ne peut plus les satisfaire comme le ferait un grand Léviathan rêvé en 1848. La droite, puis les socialistes, et derrière eux la techno structure, ont passé leur temps à diviser pour régner. A mouliner de la tactique sociale sans stratégie d'émancipation. Et puis peu à peu, ce devenait inutile. Jospin a repris le pays en main en vantant un Etat volontariste au pire de la crise avec les emplois jeunes et les 35 heures. Fort bien. C'était nécessaire. Sauf que ce tout-Etat n'a cessé de décevoir par la suite ses obligés en croyant les combler : les profs pourtant aidés se sentent abandonnés, les jeunes qui ont voté ont voté d'abord Le Pen…

Nous ne sommes même plus dans une société de classes, mais quasiment dans une société d'Ancien Régime où les corporations, les ordres, les privilégiés, petits et grands, stérilisent la représentation en en confisquant les strates. En l'immobilisant. Dans des bunkers où tout un chacun trouve des petites satisfactions et une infinie inquiétude.

Les petites frappes philosophantes qui ne voient que complot dans "l'idéologie sécuritaire" de la droite française ou de la gauche anglaise sont sympathiques s'ils pensent à la préservation des libertés civiles. Mais ils sont irresponsables s'ils ne comprennent pas que c'est sur cette panique, réelle ou présumée, que la petite classe moyenne, la moyenne moyenne et le peuple des employés peuvent aujourd'hui échanger un peu. Dialoguer un peu.. Elaborer un peu.. Laisser ce bâton de merde à la droite ou à Le Pen ou à des tribus néolithiques gauchistes, est suicidaire. Il faut le prendre à pleines mains.

Car l'insécurité de nos contemporains les plus exposés est aujourd'hui dans les têtes et dans le ventre.. Insécurité du trajet au boulot ou vers chez soi, insécurité du revenu, du statut, de la solidarité, de la retraite, pour les enfants, les parents et pire encore insécurité d'un monde traumatisé par le 11 septembre. Réduire le périmètre de l'Etat providence qui n'en peut mais sans le dire vraiment et sans promouvoir de nouveaux continents d'autonomie, ne donner comme perspective que l'auto-responsabilité de soi-même amène à une insécurité de l'intime comme l'a fort bien montré Alain Erhenberg. Aujourd'hui, on transfert vers les psys la douleur de l'individu souverain et bunkerisé. On le laisse, dans la réorganisation du travail, se débrouiller avec l'auto-performance. Avec lui-même. C'est dégueulasse.

Sécuriser les trajets professionnels, flexibles ou non, comme le met en avant un de nos très grands juristes Alain Supiot, ignoré par les clercs en cours, faire tomber les lignes Maginot des métiers qui refoulent les candidats non estampillés, redonner de la 2e chance, valider les acquis, faire de la revendication entrepreneuriale une exigence démocratique, élargir les autonomies du tiers secteur sans les vassaliser aux collectivités publiques, sont parmi les premières idées qui viennent en tête. De vieilles idées déjà. Mais ce ne sont là que pistes sur le front du travail. Reste à trouver les instances pertinentes de délibération pour repenser le "Faire France". Par le local ? Le national ? L'Europe ? Le professionnel ? Peu importe, il faut de ce point de vue aller vers une Constituante. Pas pour opter entre régime parlementaire ou présidentiel mais pour refonder les corps intermédiaires qui ne soient pas des corporations d'ancien régime. Mais des mixers à intérêt général. On disait des générations de l'Urss des années trente et cinquante qu'elles avaient laissé à leurs fils et petits-fils une ruine et des dettes. Qu'elles avaient failli. La génération soixiante-huit a fait tout de même mieux. Mais elle laisse en 2002 à ses enfants un pays où 20% et plus sont des électeurs de Le Pen. C'est à pleurer. Cette génération qui a beaucoup desserré les mailles de la démocratie d'autorité et réamorcé l'invention sociale s'est racornie dans ses certitudes. S'est persuadée qu'elle avait le monopole de la réforme. Elle doit passer la main. Ou donner un coup de main qui soit autre chose qu'un geste bienveillant. Que le don de quelques boucliers du temps jadis.

No Passaran, franchement, c'est court.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  [ la suite au prochain numéro ]

Toutes les idées et opinions publiées dans Démocraties directes peuvent être librement reproduites ou traduites, même sans indication d'origine, pour autant qu'elles ne soient pas mises insidieusement au service d'un totalitarisme économique, politique, social ou psychologique.

L'e.lectro/laboratoire Démocraties Directes est un espace libre. Même si le slogan “interdire d’interdire” est une limite sémantique, Démocraties Directes interdit les idées propagatrices de haine, de non-respect de l'être humain, de toute forme de totalitarisme. Ces textes seront rejetés dans l'égout de l'Histoire...

 
  democratie_directe@hotmail.com