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DROGUES ET ÉCONOMIE DANS LES PAYS ANDINS, APPROCHES MÉTHODOLOGIQUES[1]

Pierre SALAMA

Professeur Paris XIII
GREITD-CEDI

 


Paru dans Tiers Monde


 Lorsqu'on étudie l'influence du secteur de l'aéronautique, par exemple, sur l'ensemble de l'industrie nationale, on dispose de données statistiques à partir desquels on peut analyser sa contribution dans la croissance, la participation de ses exportations nettes dans le solde de la balance commerciale et enfin, si cette participation est significative, l'influence que l'apport de devises a sur la taux de change.

Avec la culture et la transformation de produits illicites ces évaluations sont très difficiles à faire. Les données statistiques n'existent pas en raison de l'aspect illicite sus mentionné. Seules des évaluations, produites à la fois de l'observation et de la déduction, peuvent être faites. Elles sont par nature discutables.

L'étude des effets macro-économique d'une part, de la production et de la distribution de produits illicites et, d'autre part, du rapatriement d'une fraction de l'argent provenant de la vente de ces produits à l'extérieur, est importante à entreprendre mais difficile à réaliser. La croissance soutenue, avec une faible inflation en Colombie, durant les annéee quatre-vingt alors que la plupart des pays sombraient à la même époque dans la désindustrialisation inflationniste, voire hyperinflationniste, doit probablement beaucoup aux entrèes de capitaux provenant de cette production - distribution de produits illicites. De même, mais d'une manière très différente, la très forte inflation bolivienne jusque 1985, la désagrégation economico-sociale et enfin politique du Pérou, portent la marque de cette activité. A l'inverse la reprise de la croissance, même faible, de la Bolivie, sa maitrise relative de la hausse des prix sont probablement tributaire du rapatriement de l'argent blanchi. Tant d'effets contraires constituent une énigme et de ce fait un stimulant pour le chercheur dans sa quête des relations entre la drogue et la transformation des structures socio-économiques, voire politiques, d'une société.

L'impact indirect de ces activités sur l'évolution du revenu global est problématique en raison du caractère illicite de ce produit. S'agit il d'un produit procurant une rente, à l'égal de certaines matières premières et peut on alors appliquer les analyses en terme d'économie rentière pour analyser l'évolution du revenu globale et les distorsions qu'il connait en son sein? Le mode de détermination des prix, pour des raisons différentes dans un cas et dans l'autre, incite à ce rapprochement. Le prix d'une matière première est relativement éloigné de son coût de production et semble résulter surtout de l'évolution du rapport de force à l'échelle internationale. Le prix d'un produit illicite dépend bien peu de son coût de production et beaucoup de l'interdit qui accompagne sa production et sa distribution. L'écart très important entre le cout de production et le prix à l'exportation, sans parler du prix de détail dans les principales villes occidentales, semble autoriser ce rapprochement, même si dans un cas il s'agit d'une ressource non renouvellable et dans l'autre non. Peut on, dès lors, appliquer les enseignements des thèses sur l'économie rentière[2] pour apprécier, voire évaluer l'impact de l'argent tiré de ces activités illicites sur l'environnement économique, social voire politique?

Ce sont à ces interrogations que nous tenterons de répondre. Nous centrerons notre étude sur deux aspects. Le premier traitera des problèmes posés par l'évaluation des entrèes de devises provenant de ces activités illicites. Le second des effets macro-économiques de l'économie de drogue sur son environnement.
 

I. UNE ÉVALUATION DIFFICILE

On peut procéder de deux manières différentes pour évaluer l'importance des flux provenant de ces activités illicites. L'une qui va de l'amont vers l'aval, l'autre de l'aval vers l'amont. Ces deux approches ne sont pas exclusives. Elles peuvent se compléter et/ou être opposées pour estimer la pertinence d'une évaluation.

A. DE L'AMONT VERS L'AVAL.

Les évaluations sont très discutables. La littérature andine et nord américaine est abondante sur ce sujet. Nous ne la reprenons pas ici. Notons toutefois les problèmes qu'elles posent. L'évaluation peut être quantitative (hectares cultivées, rendements à l'hectare différents selon les techniques utilisées (engrais) et estimation de ces rendements, consommation locale sans transformation (surtout pour les feuilles de coca). Le produit obtenu est transformé. Plusieurs transformations sont nécessaires, davantage pour obtenir de l'héroine que pour la cocaine, et on estime la quantité de matière première qui est transformée dans le pays et la quantité obtenue aprés cette (s) transformation (s). De même, on estime la quantité transformée à partir de la matière première et/ ou du produit semi-fini importés. Il existe en effet une spécialisation internationale (la Bolivie exportant la matière première, la Colombie en produisant relativement peu mais transformant tout ou partie de la production d'autres pays, par exemple) et comme toute spécialisation celle-ci est mouvante : d'autres pays produisent et/ou transforment, la délocalisation ayant tendance à fortement augmenter et des cultures situées traditionnellement dans certains endroits ont tendance à apparaitre dans d'autres (le pavot par exemple au Mexique et en Colombie, le canabis aux Etats Unis massivement mais aussi en Hollande, cultivé en serres). L'importance de la transformation peut être estimée, avec cependant une probabilité assez importante d'erreur, à partir des produits chimiques nécessaires à ces transformations. La quantité de produits chimiques est en effet difficile à évaluer en raison de la modification des techniques de production liée à la possibilité d'utiliser des produits substituts et à la qualité du produit. La production locale de ces produits peut être difficile et si elle est effective, sa commercialisation peut être fortement réglementèe. Elle peut être en partie importée, légalement avec détournement ensuite de son usage en raison de la réglementation, illègalement par la contrebande.
Ces quantités estimées sont ensuite calculées en valeur à partir d'une fourchette de prix vraisemblable. On a alors une approximation de la valeur de ces produits illicites à la sortie du pays.[3]

Le nombre d'étapes dans la transformation, leur localisation par rapport à la production, la quantité de produits chimiques et leur diversité, la modification possible de certaines techniques, les degrés de pureté différents des produits obtenus, les fluctuations des prix rendent difficile l'évaluation de la quantité de drogue exportée par tel ou tel pays. C'est pourquoi les évaluations divergent fortement selon les auteurs. La fiabilité de ces estimations peut alors être testée par leur confrontation avec des estimations faites aprés enquête de la consommation des drogues dans les pays industrialisés. Les écarts entre l'offre supposée (des pays andins) et la demande estimée (des consommateurs américains corrigée ensuite en tenant compte des consommateurs des autres pays) peuvent parfois être très importants[4].

On peut considèrer qu'une partie relativement importante du revenu, tiré de la production de de la transformation, est rapatrièe au prix d'un blanchiement relativement côuteux. Cette hypothèse est un peu hasardeuse. En effet, les sommes rapatrièes proviennent à la fois des revenus tirés de l'exportation (illègale) des produits illicites et des revenu tirées de la distribution (gros, semi-gros et détail). Le degré de contrôle par les "producteurs" diffère selon les stades de la distribution. or on a très peu de renseignement sur l'importance de ces contrôles. Comme les revenus tirés du traffic proviennent surtout de la distribution, on a relativement peu d'estimations fiables sur le coefficient de rapatriement. On peut, mais c'est évidemment constestable, supposer alors que le pourcentage des revenus rapatriés est d'autant plus important que le degré de contrôle l'est. Si cette hypothèse est juste, cela signifierait que les sommes rapatrièes proviendraient surtout de l'activité de production et de transformation, activité qu'on peut évaluer selon certaines fourchettes. C'est aussi pourquoi, par souci de simplification, on peut être conduit à ne considérer que ces activitès. Evidemment, cela peut conduire à sous estimer profondément les sommes réelles collectées par les traficants des pays producteurs, ce qui a deux significations (qui ne s'excluent pas) : l'une à trait à l'importance des revenus rapatriès, d'autant plus sous estimées que la pénétration des traficants dans la distribution est importante; l'autre à surestimer le nationalisme des traficants qui ne chercheraient, selon ce qu'on veut bien entendre, qu'à se notabiliser dans leur pays et donc à y faire fructifier leur fortune. Il est évident que si une telle surestimation est fondée, alors les activités financières de ces traficants dépasseraient de loin celles qu'ils mènent dans leur pays d'origine et que serait entrain de se constituer des groupes financiers, difficilement reconnaissables dans les pays du centre sous leur contrôle. Mais plus important, par rapport à notre propos, cela signifierait que la relation entre les activités sur les produits illicites et le rapatriement de capitaux blanchis est de plus en plus faiblement croissante (l'élasticité serait décroissante)[5].

B. DE L'AVAL VERS L'AMONT.

Jusqu'ici nous avons priviégiè les estimations qui partaient de l'amont (production) vers l'aval (distribution). On peut opèrer en inversant l'ordre des estimations. Cette approche n'est pas exclusive de la précédente, bien au contraire. Elle permet, dans une certaine mesure, de confronter les estimations et ajoute au degré de vraisemblance de celles qui sont retenues (remarquons toutefois que cette double approche, en interrogeant l'une à l'aide de l'autre, est peu courante dans la littèrature).

Plusieurs indicateurs peuvent être retenus.
La contrebande a été un moyen privilègié, jusqu'aux années récentes, pour rapatrier de l'argent et le blanchir, dans la mesure où le trafic de drogue a souvent été initié par d'anciens contrebandiers. Deux moyens peuvent être utilisés.
Les produits sont achetés dans un pays tiers avec de l'argent sale. Cet achat blanchit l'argent sale. La contrainte est toutefois que les sommes versées ne soient pas trop importantes (elles peuvent être répétées, sauf cas de fausses factures) afin de rendre plus difficile toute enquête sur l'origine de l'argent. Les marchandises sont alors transférèes de manière illégale. Vendues en monnaie locale, le produit de cette vente est déposé dans les banques locales. Il s'agit d'une voie qui s'apparente, en partie, à la compensation : un dépot en dollar dans un pays, un dépot en monnaie locale dans un autre. Les capitaux ont pu être rapatriès sans avoir à circuler. Il n'y a donc pas augmentation de la masse monétaire. La vitesse de circulation de la monnaie peut s'accroitre, mais il est difficile d'isoler ce qui peut être du aux effets de la compensation, via la contrebande, de ce qui proviendrait de l'activité économique en général et de l'essor de nouveaux produits financiers (souvent des titres de dette) quasi liquides et substituables à de la monnaie. On aura compris que l'estimation du rapatriement opéré par cette voie est difficile à faire.

Le second moyen est plus classique. L'argent est transférè matériellement, en billets. Il alimente le marché parallèle et influence l'écart existant entre le taux de change officiel et le taux de change parallèle. C'est probablement ce qui explique que pendant plusieurs mois le taux de change parallèle ait pu être davantage appréciè que le taux officiel en Colombie, situation unique en Amérique latine où l'inverse était plutôt de rigueur. Un des indicateurs de l'importance de la contrebande pourrait être l'écart entre les deux taux. Mais cet indicateur n'est pas nécessairement pertinent. D'abord parce que l'écart peut s'expliquer en partie par la politique du gouvernement vis à vis du taux de change, et la crédibilité de cette politique auprés des agents, à l'égal de ce qui se passe dans les autres pays; ensuite parce que la contrebande peut se faire aussi par la voie de la compensation.

Quoiqu'il en soit la contrebande constitue une modalité peu importante aujourd'hui selon les extimations. On considère qu'aujourd'hui la valeur des produits importés illégalement peut être évaluée approximativement à 15-20% de la valeur des importations légales. Ce support devrait être délaissé à l'avenir avec la libéralisation du commerce extérieur et celle des changes qui se dessine dans la plupart des pays.

S'agissant de la compensation, notons enfin qu'il peut également être utilisé en cas de fuite de capitaux. Ceux qui désirent transfèrer des capitaux à l'étranger et qui ne peuvent le faire du fait de l'interdit, peuvent les virer sur un compte local au nom d'un tiers lié aux traficants . Une somme équivalente (moins les commissions lourdes) est alors transférèe, de l'étranger sur le compte[6]. Deux limites toutefois sont à noter : la première vient de l'évolution de la réglementation en matière de change (la libéralisation des changes se substitue à cette procédure lourde), la seconde vient de ce que l'argent déposé dans le pays tiers doit être au préalable blanchi, ce qui diminue l'intérêt porté à cette procédure.

Les travailleurs immigrés aux Etats Unis envoient de l'argent à leur famille. Lorsque ces travailleurs sont nombreux, comme c'est le cas des Colombiens, les sommes sont importantes. On peut penser que cette voie est utilisée par les traficants qui font transférer par des travailleurs immigrés des capitaux dont le montant individuel ne peut être que limité. La part entre ce qui vient des salaires et ce qui vient du trafic est cependnant difficile à estimer.

Une méthode archaique doit être rappelèe. Elle a eu son importance. L'argent peut être directement blanchi dans les maisons de change, voire même dans les banques (à certains guichets). Les dépôts sont cependant limités et leur nombre doit être multipliè d'autant. Cette procédure est lourde eu égard aux quantités à blanchir. Il faut se rappeler que le rapatriement d'un millard de dollars nécessite plusieurs wagons de train remplis de billets de vingt dollars. Nous sommes ainsi loin de l'image d'Epinal du traficant transportant une valise de dollars. Il est cependant évident que cette méthode a pu permettre pendant quelques temps à la Colombie de connaitre une expérience originale en matière de change, celle où le taux de change parallèle était surappréciè par rapport au taux de change officiel.

Reste deux autres voies : la sousfacturation de certaines importations et la surfacturation parfois de certaines exportations. L'estimation directe est évidemment difficile à faire tant le nombre de produits est grand. Les auteurs retiennent les exportations qui ne portent pas sur les matières premières, dont le prix est fixé sur un marché international. Sont donc en génèral exclus le pétrole, le cafè, le charbon. L'estimation se fait à partir des prix pratiqués, tant à l'importation qu'à l'exportation, à la sortie du pays comparés à ceux qui existent aux USA sur des produits similaires. L'écart observé dans l'évolution des indices permet de redresser la valeur des importations et des exportations. Cet écart est un indicateur de la présence des narcofraficants dans les circuits d'importation et d'exportation et donne une estimation des sommes passant par ces manipulations[7].

Cette méthode d'évaluation n'est pas sans critiques. Très intéressante et très souvent pertinente, ne serait ce qu'en raison de l'ampleur des écarts, elle tend cependant à surévaluer le blanchiement réalisé par cette voie. En effet, il peut exister une évolution des termes de l'échange indépendante de ces manipulations, lièe à la nature des produits ou à la présence de firmes multinationales pratiquant des prix de transfert (ou prix de cession interne) entre ses filiales selon sa stratègie de maximation des profits eu égard aux différentes fiscalités. Les exportateurs adoptent des stratégies de fixation des prix, surfacturant ou sousfacturant selon leur environnement (subventions à l'exportation, écart entre le taux de change officiel et bons dans lesquels les exportateurs doivent placer le produit de leurs exportations[8]), sans que celà reflète une intervention des narcotraficants. Enfin, et surtout, supposer que les narcotraficants peuvent manipuler l'ensemble des exportations-importations (hors matières premières) c'est considérer que le poids et la présence de ces derniers est extrêment importante, y compris dans le monde industriel. Cette omniprésence supposée est alors en contradiction avec les analyses qui considèrent que le placement des revenus rapatriès est limité aux services (dont l'immobilier), l'élevage et trés peu à l'industrie.

Reste donc la voie royale : les mouvements de capitaux. Contenue par la réglementation, libèrée par la déreglementation, facilitée par la globalisation financière, elle devrait se développer de plus en plus. Nous avons vu que cette voie semblait prendre une importance croissante avec le retour de ces pays sur les marchés financiers internationaux.

II. ECONOMIE DE LA DROGUE - ÉCONOMIE RENTIÈRE?

Nous avons vu combien il était difficile d'obtenir une estimation rigoureuse des transferts de fonds blanchis dans les économies de production et/ou de transformation de la matière première en produit final.

Les transferts de capitaux peuvent avoir des effets pervers. On se souvient des effets inflationnistes du pillage de l'Amérique latine par les Espagnols lors de la conquête et du bénèfice tiré par les Hollandais de cet or. Depuis, les économistes se sont interessés à cette question lorsqu'il est apparu que l'exploitation de certaines matières premières ne donnaient pas les enrichissements (collectifs) attendus. Ce furent les thèses connues sous le nom de "stapple theory", puis celles caractérisant les économies rentières comme anti-productive (A) et celles enfin dites du "Dutch desease"(B).

A. ÉCONOMIE RENTIÈRE - ÉCONOMIE ANTI PRODUCTIVE?

1. La première approche insiste sur l'opposition entre la circulation et la production pour analyser les comportements des agents.

Insister sur la production, c'est mettre en avant la logique d'une économie dite de production. Celle-ci ne se reproduit que sur la base de l'exploitation laquelle finance l'investissement. La reproduction est contrainte par le Marché à un double titre. Le Marché donne des signaux d'une valorisation possible du capital. Le Marché, lieu de socialisation, sanctionne l'acte de production. Les produits ne sont vendus et ne pourront être reproduits que s'ils sont compétitifs.

Cette contrainte n'existe pas lorsque l'activité et centrèe sur la circulation. Le comportement des acteurs change lorsque l'activité économique est centrèe davantage sur l'exploitation d'une ressource naturelle que sur l'Homme. L'importance de la rente dépend, pour l'essentiel, d'un rapport de force au niveau international et donc d'une négociation. L'enrichissement des uns et des autres dépend de la capacité à s'inscrire sur le circuit de la rente et bien peu de l'exploitation de la force de travail. Il découle de cette analyse que la distribution prime sur la production et la reproduction. La rente acquière alors un aspect fondamentalement anti-productif et lorsqu'elle sert à un investissement dans le secteur productif, elle conserve cette caractèristique. Les capacités de production sont sous-utilisées, pour des raisons techniques (maitrise de la technologie déficiente dans les secteur pétrochimiques) mais aussi et surtout pour des raisons de gestion. L'essentiel en effet n'est pas de tirer des profits, mais de redistribuer. La redistribution constitue un support à la légitimation nécessaire pour justifier l'appropriation d'une partie de la rente. Dit autrement, on ne peut accéder à cette manne que si on la redistribue partiellement. D'où le clientélisme et l'investissement dans le secteur productif sert alors, essentiellement, de justification pour mener ce genre d'opération. C'est ce qui explique l'énorme gaspillage de ressources et la très faible productivité du capital qu'on observe dans les économies rentières et l'attrait singulier vers des activités de spéculation (dont l'immobilier) et de démonstration pour ceux qui en bénèficient. C'est aussi ce qui explique qu'on peut étendre cette analyse aux effets que provoque d'autres sources de revenus, comme par exemple l'aide, les revenus du capital et l'argent provenant de l'immigration.

2. Plusieurs arguments plaident en faveur de l'utilisation de cettte théorisation. Le premier est lié à la nature du produit, les autres aux effets comparables auxquels conduit le développement d'une activité rentière et/ou de drogue.

2.1. La drogue semble être un produit qui, à l'égal des matières premières, procure une rente. son prix est trés éloigné des coûts de production. Certes, son prix ne dépend de l'évolution d'un rapport de force au niveau international, comme c'est le cas pour les matières premières, mais il est fortement influencé par les risques pris quant à sa production, transformation, voire distribution en raison du caractère illicite de ces opérations. La répression tend à augmenter le prix en augmentant le risque, sauf si le marché devient moins porteur à cause d'une baisse de la demande, d'une augmentation trop importante des stocks (qu'il faut écouler), auquel cas le prix baisse et le produit est davantage pur (ce qui conduit à de nombreuses overdoses chez le consommateur non prévenu). Mais même en cas de baisse des prix, celle -ci est beaucoup plus faible, en pourcentage, que celle qu'ont à subir les producteurs, et l'écart entre entre le prix versé à ces derniers et le prix payé par les consommateurs croit d'autant, renforçant la similarité de ce produit avec un produit de rente.

Celà étant, l'assimilation de ce produit à un produit de rente prête à discussion pour plusieurs raisons. Les auteurs qui analysent l'économie rentière se réfèrent surtout aux matières premières minérales non renouvellables, employant peu de personnes. Il s'agit ici de ressources renouvellables, necessitant une quantité importante de travail pour être produites, procurant des ressources aux paysans, lesquelles, même faibles, relativement, sont largement supérieures à celles que fournit l'exploitation d'autres produits agricoles licites, et de fait élargissent le marché intérieur, dynamisent quelque peu la production de biens de consommation et favorisent donc l'accumulation du capital.

Il s'agit aussi de ressources qui sont ensuite transformées selon des processus industriels pouvant être sophistiqués avec l'apparition de nouveaux produits. Ces activités concernent un nombre réduit de personnes et ont un effet relativement faible sur le marché intérieur.

Il s'agit enfin et surtout de ressources privées et illicites à la différence des ressources tirées de l'exploitation d'une matière première, licites et souvent publiques. Comme la production et la commercialisation dans le pays d'origine est illégale, les profits tirés sont considérables. L'enrichissement vient beaucoup de l'interdit et non de l'exploitation de la force de travail. C'est ce qui rapproche ces activités de celles qui procurent une rente puisque l'importance de cette dernière résulte davantage de la négociation que de l'exploitation de la force de travail. C'est pour cette raison qu'on peut considérer que les revenus fournis par ces activités peuvent être assimilés à une rente malgré les limites sus mentionnées.
 

2.2 Le développement de cette activité procure des revenus très importants et trés fortement concentrés. Ces revenus favorisent le développement d'une économie de service (activités immobilières privilégièes, spéculation sur le prix de la terre) et nécessitent une redistribution très importante (corruption, emploi de bandes privées, activités de légitimation). Ces effets apparentent le développement de ces activités à celles d'une économie rentière anti-productive et redistributives par essence.

Il y a cependant quelques limites à ce rapprochement.

Dans le cas d'un produit de rente quelconque mais licite, la rente favorise le développement d'une bureaucratie. Celle-ci se cherche à se greffer sur le circuit de la rente, redistribue pour obtenir une légitimation de cette opération. La redistribution constitue en quelque sorte un cout d'accés à cette rente. Elle peut prendre l'aspect de projets d'industrialisation. Ces projets servent à justifier les sommes hapées du circuit et permettent de redistribuer des revenus sous forme de commissions versées, mais aussi parfois de salaires. Se constitue alors ce qu'on nomme un marché bureaucratico-tribal de l'emploi dont l'objet n'est pas d'obtenir une efficacité quelconque de la mise en place du projet industriel, mais à la fois d'obtenir une légitimation de son propre enrichissement en reversant une partie du tribut prélevé sur le circuit de la rente et de poursuivre, ce faisant, cet enrichissement. C'est en ce sens qu'on peut considérer que le développement de cette bureaucratie est parasitaire et anti-productif.

A la différence d'un produit de rente licite, la drogue ne conduit pas, ou peu, à ce comportement. Certes les activités corruptives sont très importantes et la concentration de l'argent blanchi dans des activités non productives est impressionnante, et à ce titre le rapprochement avec la bureaucratie rentière semble s'imposer, mais ce qui fonde ces activités dans un cas et dans l'autre est totalement différent. Avec les activités lièes à la drogue, nous sommes en présence d'organisations criminelles parce qu'il s'agit de produits illicites. La corruption et son versant, la violence, ne constituent pas des couts d'accés à une rente pré-établie. Il ne s'agit pas de se greffer sur le circuit d'une rente, mais de la fonder. La corruption / violence est alors un coût de production de cette rente.
Une fois cette rente obtenue, blanchie, elle est placée dans les services et la spéculation. Mais, à partir du moment où les réseaux mafieux utilisent le secteur industriel pour rapatrier une partie de leurs revenus de l'extérieur en jouant sur la sur facturation des exportations, la sous facturation des importations, voire la contrebande y compris de biens destinés aux entreprises, on peut considérer que des liens se nouent avec ce secteur. Avec la libéralisation des marchés financiers et du marché des change, on peut considérer que les rapprochements avec l'industrie et/ou les activités de service, autres que boite de nuit, immobiliers etc, seront plus importants car la complexification des circuits financiers, jointe à leur libéralisation plus grande permettront des prises d'intérêt dans des sociétès côtées en Bourse.

A la différence de l'économie de rente, l'argent blanchi appelle le blanchiement des individus en les incitant à se notabiliser[9]. Ce blanchiement des individus peut conduire, à terme, à une mutation des comportement qui de spéculatifs pourraient devenir industriel et financiers.

Il reste que ce serait une erreur de considérer que cette dernière métamorphose soit déjà accomplie. Les activités de distribution liée à la corruption, à la violence, mais aussi à la légitimation restent très importantes et les effets positifs sur la modernisation assez faibles. Ils sont encore en pointillé mais probablement déjà plus importante dans les économies plus complexes que dans celles qui le sont moins.

B. ÉCONOMIE RENTIÈRE ET DUTCH DISEASE.

1. Selon la thèse dite du Dutch Desease, l'apport massif de devises obtenu grâce à l'exploitation d'une ressource naturelle, conduit à une surappréciation de la monnaie nationale.

1.1 Cette surappréciation a des effets positifs. Elle rend moins couteuses les importations et a donc un effet desinflationniste. Si les importations sont concentrèes dans les biens d'équipement, la réduction de leur côut unitaire accroit l'efficacité du capital et améliore donc les conditions de valorisation d'ensemble. Elle peut alors être assimilée à un progrès technique de type capital saving selon la classification de Joan Robinson.

Mais la surapréciation de la monnaie nationale a aussi des effets pervers qui vont bien au-delà des difficultés accrues du secteur exportateur qui voit ses prix plus ou moins augmenter selon le rythme de cette appréciation. La baisse du côut des importations est équivalente à une compétitivité affaiblie des secteurs de l'industrie nationale produisant des produits "échangeables", substituts à ces importations. Sauf cas d'une protection accrue, la surappréciation de la monnaie nationale conduit à une substitution partielle de pans entiers de l'appareil de production par ces importations. L'effort necessaire pour moderniser l'appareil de productif et le rendre compétitif, malgrè l'appréciation de la monnaie, est trop important pour qu'il puisse être mené à bien, et ce de manière durable, pour deux raisons : la rentabilité relative des secteurs produisant des biens non échangeables (donc protégès naturellement) augmente et les investissements ont tendance à s'orienter vers ces secteurs, provoquant ainsi une déformation importante de l'appareil de production en faveur du secteur des services, de l'immobilier etc[10]. La seconde raison est lièe à la soudaineté et parfois à l'ampleur de cet apport de devises. Soudaineté parce que cet apport résulte peu d'activités anciennes qui viendraient à maturation, comme c'est par exemple le cas lorsque la compétitivitè s'amèliore, mais de découvertes liées en partie au hasard (le coût de la prospection n'est élevè que lorsqu'il n'y a pas de decouvertes). Ampleur parfois lorsque l'amèlioration des termes de l'échange est importante (comme ce fut le cas pour le pétrole) et que le poids de ces revenus par rapport àl'ensemble des autres revenus tirés des exportations est important (par exemple le Mexique à la fin des années soixante-dix - quatre-vingt).

En même temps que l'effet désindustrialisant via les importations s'affirme, les exportations deviennent plus difficiles et la nécessité d'obtenir des revenus par cette voie devient moins impérative, en raison de l'abondance des devises. Le secteur exportateur est délaissé ce qui accuse encore la désindustrialisation.

Ces effets sont classiques. La stérilisation d'une partie des devises, une politique industrielle à moyen terme, un contrôle des effets pervers produits du libre fonctionnement des lois du marché, devraient permettre de les contrecarrer. mais ce n'est pas ici l'objet de les analyser.

1.2. Le Dutch Disease se résume donc aux effets pervers provoqués par la surappréciation de la monnaie nationale, elle même produite par l'afflux soudain d'un montant considérable de devises (en terme de pourcentage du PIB et/ou des exportations totales). Assimiler la culture et/ou la transformation de produits illicites, puis partiellement leur distribution sur les marchés, à une rente conduit a appliquer les enseignements, tirés de cette analyse, à cette activité. La confrontation d'une part entre ces enseignements et d'autre part les données statistiques est intéressante. Elle est une première évaluation de la pertinence de l'application de cette thèorie à notre objet.
 
 

ÉVOLUTION DU TAUX DE CHANGE RÉEL EFFECTIF
source: CEPALC (op cit)

 
 

L'observation de l'évolution des taux de change dans les trois pays andins, les plus affectés par le développement d'une économie de la drogue, semble dans un premier temps confirmer notre analyse et l'infirmer ensuite puisque, jusque 1985, on observe une appréciation de leurs monnaies nationales. A l'exception du Pérou, cette politique n'est plus présente par la suite, ni en Bolivie, ni en Colombie. Il est intéressant de remarquer que ces mouvement des taux de change sont à peu prés symétriques de ceux qu'on observe dans les autres pays latino-américains. Aprés 1982, la plupart on connu en effet une dépréciation de leur monnaie nationale importante, c'est à dire l'inverse de ce que nous venons d'observer pour les trois pays andins, et vers 1987 une politique d'appréciation de leur monnaie alors que nos trois pays pratiquaient une déprèciation de leur monnaie, à l'exception du Pérou sombrant dans l'hyper-récession et l'hyperinflation.

Les mouvements d'ensemble du change s'opposent donc à ceux qu'on observe ailleurs. A l'exception du Pérou, il n'y a pas de mouvements réguliers d'appréciation. On ne peut cependant conclure à la non pertinence de l'application de la thèse du Dutch Disease à l'économie de la drogue. Deux facteurs jouaient un rôle central : la soudaineté et l'ampleur. Le premier est présent : ces activités sont récentes et le déclin relatif de l'une (la cocaine) semble être relayé par l'essor récent de l'autre (l'héroine). L'ampleur par contre est diverse selon les pays. Plus importante, en pourcentage du PIB, au Pérou et en Bolivie, moins importante en Colombie.
On comprend, dès lors, que d'autres facteurs peuvent s'opposer au libre jeu de l'afflux de devises procuré par ces activités illicites, ainsi que nous le verrons par la suite.

2. Les pays qui produisent et/ou transforment des matières premières dans le but de produire des marchandises illicites semblent partager certains traits avec les économies rentières. Leur taux de change est (parfois) surapprécié, l'industrialisation connait souvent de nombreuses difficultés.

La situation économique de ces pays est certes diverse. Ainsi que nous l'avons observé, certains ont connu (connaissent) une très forte inflation (Bolivie, Pérou), une désindustrialisation (Pérou), d'autres non (Colombie, Mexique), d'autre enfin ont connu les deux situations consécutivement (Bolivie). Dans ce dernier cas, l'argent blanchi s'accompagne d'une forte inflation et d'une dégradation sensible de l'appareil productif, jusque 1985. Puis, il semble, bien au contraire, rendre plus aisé l'application du Plan d'austérité en relachant la contrainte externe, grâce à l'abondance des capitaux blanchis, permettant ainsi que malgré la libéralisation du commerce extérieur et le service de la dette externe, les importations puissent être développées, malgrè la réduction de la valeur des exportations et le développement consécutif d'une brèche commerciale[11].

En systématisant, mais en s'éloignant quelque peu des enseignements de l'analyse menée en terme de rente, on pourrait procéder à une taxinomie en classant les effets positifs et les effets négatifs de l'apport de cette argent blanchi.

 

I

fort pourcentage du PIB

II

faible pourcentage du PIB

taux de change

.appréciè : A.non appréciè : A'

.peu appréciè : E

industrialisation

.négatif : B.mais possibilité d'effets capital saving : B'

. positif : F

taux d'inflation

.hyperinflation : C.forte / moyenne inflation : C'

.forte/moyenne inflation : J

contrainte extérieure

.très fortement allégèe : D

.allégèe : H

distribution des revenus

 
A partir de cette taxinomie, on peut tracer quelques chemins (scénarios) possibles :

commentaires :
L'entrèe nette de devises tend à apprécier le taux de change (A) lorsque cette entrèe est importante (par rapport au PIB, par rapport aux exportations licites et aux mouvements de capitaux licites -difficiles à évaluer-), lorsqu'il n'y a pas de politique visant à contrôler la masse monétaire dans le but de stériliser tout ou partie de cet apport, lorsqu'enfin l'entrée de devises ne suscite pas immédiatement une augmentation des importations et qu'il n'y a pas de fuites de capitaux, un service de la dette externe, compensant tout ou partie de cet apport. Nous sommes sinon dans le cas A'.
L'appréciation du taux de change rend les importations moins coûteuses. Les biens d'équipement importés ont donc un cout inférieur à celui qu'ils auraient eu s'il n'y avait eu une appréciation. dans cette mesure, l'efficacité de ce capital augmente, ce qui peut favoriser une accumulation plus importante et être favorable à l'industrialisation et s'opposer en partie aux effets désindustrialisants qu'une appréciation importante et soudaine peut provoquer.

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L'entrèe importante et soudaine de devises peut provoquer une accélèration de l'inflation déjà présente, sauf si une politique de rétention des dépenses publiques et de stérilisation de la monnaie est mise en place.

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L'effet sur les importations est en fait plus élevè que ne le montrent les statistiques puisqu'il faut tenir compte de la sous facturation des importations, à l'exception de celles dont le prix est fixé directement en dollar (ou toute autre devise clé) comme le pétrole.
On peut considérer que la sur facturation des exportations ne peut être assimilée à l'effet mécanique d'une appréciation puisqu'il s'agit d'une sur facturation volontaire dont l'objectif est de permettre le transfert d'argent blanchi de l'extérieur vers le pays d'acceuil alors qu'une appréciation rend les exportations moins compétitives, est subi de ce fait par l'exportateur. De même que pour les importations, tous les produits ne donnent pas lieu à une surfacturation destinée à permettre le blanchiment. Certains produits exportés ont leur prix exprimé dans une devise clé et toute manipulation du change n'a alors d'effets que distributifs (dans ce cas, une appréciation de la monnaie grève le revenu de ces exportateurs). D'autres subissent des sur/sous facturations selon la politique des prix internes pratiquée par les entreprises multinationales. 

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Au delà des effets sur le taux de change, la modification du profil de la distribution des revenus, suite a la culture de ces plantes et/ou à leur transformation en produits illicites, a des effets sur les conditions de valorisation du capital. Ces effets sont différents selon qu'il y a culture, transformation, culture et transformation. Dans le cas de la culture, beaucoup de paysans sont concernés. L'augmentation de leurs revenus élargit le marché interne de produits de consommation et incite à la production de certains de ces produits. La culture de drogue agit alors comme débouché préalable et favorise l'industrialisation. Dans le cas de la transformation, peu de personnes sont concernées. La très forte concentration, couplée au nombre de personnes concernées plus faible que dans le cas précédent, ont des effets moins favorables à l'accumulation. Les importations augmentent, notamment celles qui constituent des symboles de la richesse. La concentration des richesses peut permettre une certaine accumulation, mais celle-ci aura tendance à se diriger d'abord dans l'élevage, la spéculation immobilière, financière ensuite et, pour l'instant, marginalement dans l'industrie directement (encore qu'on puisse imaginer un financement de l'industrie via les bourses de valeur probablement plus important que le financement direct dans l'industrie).

Lorsque les entrées en devises ne sont pas très importantes eu égard au PIB et/ou à la balance des paiements (II), les effets négatifs ont tendance à ne pas apparaitre. Par ailleurs, ces entrées déssèrent lègèrement la contrainte externe et compensent en partie l'effet récessionniste du à la ponction externe au titre du service de la dette externe. Les emprunts de l'Etat pour acheter les devises nécessaires au financement de ce service sont plus aisés à effectuer, ce qui diminue leur effet inflationniste.

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L'exemple de la Bolivie est intéressant parce qu'il est a-typique et bouleverse les généralisations abusives qu'on pourrait faire en opposant les deux extrêmes que constituent le Pérou et la Colombie. Dans le cas de la Bolivie jusque 1985, la structure industrielle est faible et les revenus de la drogue, en terme de PIB, bien que déclinants, son importants. Les effets dus au rapatriement de l'argent blanchi seraient quasi exclusivement négatifs.
Mais, à supposer que cet argent ait à la fois un effet recessif et inflationniste d'une part, anti-industrialisant d'autre part, il faut analyser les limites de ces effets afin d'expliquer à la fois que l'argent de la drogue ait pu faciliter l'essor d'une économie inflationniste et récessive avant 1985 en Bolivie et qu'ensuite ces effets aient pu être exactement inverses, l'argent de la drogue rendant possible le succés de la politique de stabilisation.

On comprend donc que l'analyse ne puisse être effectuée de manière linéaire. Le changement d'une variable (par exemple la politique économique) peut provoquer des ruptures. Elle doit alors être menée à partir d'une étude sur les effets de seuil, seuil à partir desquels le quantitatif se transforme en qualitatif et inversement lorsque l'environnement macroéconomique change.

L'étude des différents chemins possibles constituent autant de contextes macro-économiques dans lesquels vont oeuvrer les hommes et se définir les politiques économiques. Selon son importance relative, l'argent blanchi détermine l'essentiel de ce contexte ou l'influe légèrement. Il modèle alors peu ou prou les comportements des agents, y compris celui des narcotraficants à terme. Il est vrai cependant que le déchainement du couple corruption - violence, coût de production de la rente, désagrège la société civile, mine l'Etat en lui contestant le monopole de la "violence légitime", produit à terme une crise qui de politique peut dégènèrer dans l'économique en rendant plus difficile sa reproduction. Au delà des effets parfois positifs que pourrait avoir l'argent de la drogue, les tendances à la désagrégation de la sociétè civile, à l'altération profonde des comportements, à la défiance vis-à-vis de l'Etat et de son incapacité à maitriser son territoire en imposant ses codes et ses valeurs, produites par le couple corruption - violence peuvent à terme fragiliser ces économies et freiner leur modernisation.


[1] Une première version de cet article a été présentèe aux séminaires "Penser les drogues" de Bogota (Colombie) et de Rio de Janeiro (Brésil) en Avril 1993. Je remercie Pierre KOPP et Jacques VALIER pour les observations qu'ils m'ont faites et dont j'ai tenu compte pour la rédaction finale.
[2] Rappelons que les analyses en terme d'économie rentière sont globalement de deux types. Les premières, connues sous le nom de Dutch Disease, insistent sur les effets d'une entrèe soudaine et importante de devises tirées d'une activité portant sur un produit de rente. Ses effets se manifestent d'abord sur le taux de change. Toutes choses étant égales par ailleurs, cette injection de devises produit une appréciation de la monnaie nationale. Celle-ci rend plus difficile les exportations et favorise les importations. D'une manière plus générale, les activités portant sur des produits échangeables deviennent plus difficiles et la structure productive connait une distorsion en faveur des activités non échangeables. L'économie, devenue rentière, tend à être anti-productive. Devenu or maudit, l'or noir rend de plus en plus obsolète l'appareil de production. Sur ces analyses et modèles on peut se réfèrer à la présentation complète qu'en fait Abdelkader Sid Ahmed dans : Economie de l'industrialisation à partir des ressources naturelles. Publisud 2 tomes Paris 1989. Pour une première application à l'économie de la drogue, voir German Fonseca : "Economie de la drogue : taille, caractéristiques et impact économique" dans Tiers Monde : Drogues et développement, sous la direction de Pierre Salama et Michel Schiray, PUF, n?131 Juil-Sept 1992.
Les secondes insistent davantage sur les comportements particuliers provoqués par le développement de l'économie rentière : les activités de distribution sont privilègiées au détriment des activités de production. La raison fondamentale vient de ce que le prix résulte davantage d'un rapport de force que du cout de production. L'enrichissement vient donc de la capacité à s'inscrire dans le circuit de la rente plutôt que de celle d'exploiter compétitivement la force de travail. C'est pourquoi les activités de production lorsqu'elles ont lieu, servent davantage à légitimer à la fois l'inscription dans le circuit de la rente en amont et en aval. En amont, en financement d'un grand projet dont on ne se préoccupe guère de la rentabilité, en aval, distribution de revenus visant à justifier cette activité. C'est pourquoi on observe à la fois une très faible efficacité du capital dans les économies rentières et la constitution de marchés du travail bureaucratico-tribal caractèrisés par une pléthore de main d'oeuvre dont quasimment la seule justification est d'ordre politique. C'est pourquoi aussi les économies rentières sont avant tout des économies de circulation-distribution plutôt que de production. Malgré l'insistance sur les comportements parasitaires, cette analyse est distincte de celle menée en terme de rent seeking, davantage micro-économique et qui pourrait être utile au niveau de l'étude des réseaux illicites de production-transformation-distribution de ce produit. Il s'agit d'une approche davantage macroéconomique qui privilègie les comportements anti-productifs provoqués par la nature rentière du produit. Sur cet aspect anti productif, voir Chatelux et Schemeil : rapport sur les politiques industrielles et les problèmes des politiques industrielles dans les pays arabes in GRESMO, IEP de Grenoble, miméo 1986. 
[3] les prix de la feuille de coca ont un trend à la baisse très prononcé. Plus on remonte de la production à la transformation, puis à la distribution, moins cette baisse est importante. La stabilité apparente des prix au stade final de la distribution cache cependant une légère baisse dans la mesure où pour un prix plus ou moins stable, le degré de pureté augmente. La sensibilité des recettes aux prix des pays andins est donc différente selon leur spécialisation internationale, malgré une extension importante des zones cultivées. Sur le cas du Pérou, voir Iban de Rementéria : "Economia y drogas" Colombia Internacional n?20 Oct-Déc 1992. Tercer Mundo. Bogotà.
[4] sur ce point voir Iban de rementéria : "Analisis de sensibilidad para el consumo y la produccion de cocaina". Document préparatoire au Séminaire de Bogota : "Penser les drogues" op cit.
[5] sauf probablement pour les toutes dernières années. Le revenu tiré de la cocaine semble avoir baissé (les prix payé aux producteurs ont fortement chutés). Cette baisse semble avoir conduit ceux qui désiraient rapatrier une partie de leur revenus à puiser également dans les actifs qu'ils détiennent aux USA. Voir M.Urrutia et A.Ponton :" Entrada de capitales, diferenciales de interes y narcotrafico" in Cardenas et Garay : Macroeconomia de los flujos de capital en america latina. TM editores Bogota 1993.
 [6] Cette voie parait aujourd'hui moins actuelle : depuis la fin des années quatre-vingt de nombreux pays latino-américains réintègrent les marchés financiers internationaux. Le Mexique, le Brésil, l'Argentine empruntent massivement sur ces marchés et/ ou connaissent un essor trés important de leurs marchés financiers dans lesquels viennent de nombreux investisseurs étrangers, attirés par les différentiels de taux d'intérêtre, la libéralisation des marchés, l'appréciation trés souvent de leurs monnaies nationales. La Bolivie (+ 650 millions de dollars), la Colombie (+450), le Pérou (+3295 ) en 1992 suivent ce mouvement général (source : CEPALC Balance preliminar de la economia de America latina y el Caraibe). Mais, ce mouvement d'ensemble est en partie produit par un retour de capitaux ayant anciennement fui (à l'exception du Brésil qui connait à côté de ces entrèes massives une fuite de capitaux de ses résidents). Dans la mesure où les capitaux cherchent moins à fuir, que des mesures de libéralisation des mouvements de capitaux tendent à prendre de l'importance,la compensation que nous avons notée tend à devenir obsolète.
 [7] sur cette estimation, voir les travaux très intéressants de Salomon Kalmanovitz : Analisis macroeconomico del narcotrafico en la economia colombiana. CINEP Bogota 1992.
 [8]ainsi que le montrent Urrutia et Ponton (op cit), les exportateurs font des arbitrages entre le gain qu'ils peuvent tirer du différentiel de change (officiels et bons, mais aussi parallèle), et de l'ampleur de certaines suventions auxquels ils pourraient prétendre selon leur politique de prix.
 [9] c'est pourquoi nous ne partageons pas les conclusions de J.Cartier Bresson sur la possible émergence d'une maffia entrepreneuriale. L'orientation des activités vers les services et la spéculation est un sous produit de l'organisation criminelle. Lorsqu'elle commence à développer des activités productives, rentables à moyen et long terme et selon des modalités qui reposent sur les capacités d'exploiter la force de travail scientifiquement plutôt que sur le racket ou la peur, elle sous produit son contraire. L'activité productive, en se développant, "blanchit" les hommes qui la dirigent. De criminels, ils deviennent industriels par un processus de rupture un peu comme l'organisation esclavagiste peut devenir capitaliste en développant le salariat au lieu et place de l'esclavage. Voir son étude dans Tiers Monde (op cit) : "Eléments d'analyse pour une économie de la corruption" et son papier : "Quelques interrogations sur le concept de mafia entrepreneuriale dans une économie capitaliste". Doc GREITD - CEDI Paris 1993.
 [10] Cette déformation a pu être observée en Hollande, mais aussi en Angleterre et au Mexique après 1976
 [11] Il faut toutefois se souvenir que cet argent blanchi n'est pas à la libre disposition des gouvernements. Lorsque la source de devises est privée, ce qui ici le cas, le Gouvernement doit acheter ces devises, s'il en a besoin pour payer la dette extérieure. Pour un montant de dépenses et de recettes budgétaires donné, cet achat correspond à une dépense supplémentaire qui sera en général couverte par un accroissement de la dette interne et de son service par la suite. La dette externe produit de la dette interne. La contrainte externe a été allégèe dans la mesure où il n'a pas été utile pour un montant d'exportation donné de reduire les importations, mais la contrainte interne a été augmentée à la hauteur de l'endettement interne de l'Etat (sauf si celui-ci finance son déficit par l'émission de billets comme ce fut le cas en Bolivie dans les dernières années de sa période hyperinflationniste (1985). Pour plus de détails, on peut lire J.Valier et P.Salama : l'économie gangrenée, essai sur l'hyperinflation. ed La Découverte 1991. Paris.

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