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Les sales guerres de la coca
Courrier International n° 605 - 6-12 juin 2002


Au Pérou, les résultats mitigés de l’arrachage

Les surfaces de culture de la coca ont diminué, mais pas la production de cocaïne. La solution ? Que les cultures de substitution – coton ou huile de palme – trouvent des débouchés.

EL PAIS (extraits)
Madrid

DE LIMA
L’année 2008 est l’échéance fixée par les Nations unies pour éliminer toutes les cultures de coca et d’opium de la planète. Cette option zéro, aussi connue sous le nom de “politique du bâton et de la carotte”, entend associer répression [contre les cultivateurs illicites] et développement alternatif [subventions pour les cultures de substitution]. De toute évidence, ce nouvel objectif sur six ans est irréalisable. Les grands producteurs de coca (Colombie, Bolivie et Pérou) et d’opium (Birmanie) continuent d’alimenter le marché de la drogue, et un ancien producteur d’opium, l’Afghanistan, revient sur le devant de la scène conséquemment à la chute des talibans.

Lors de sa visite au Pérou [le 24 mars dernier], le président George W. Bush a surpris son auditoire en signalant que la lutte contre le trafic de drogue supposait aussi de freiner la demande. On n’est pas habitué à entendre reconnaître cette évidence par le président d’un pays qui est le premier consommateur de cocaïne de la planète.

L’apparent changement d’attitude de Washington a défrayé la chronique ces jours derniers au Pérou, l’un des principaux producteurs de coca. “Tant qu’il y aura de la demande, il y aura de l’offre. Le monde parle maintenant de coresponsabilité, avec plus de sincérité qu’avant”, estime Ricardo Vega Llona, le responsable péruvien de la lutte contre les stupéfiants.

Dans la bataille contre le narcotrafic, le bâton supplante généralement la carotte, comme on l’a vu dans la région andine. Face à l’échec des politiques menées en Bolivie et en Colombie, le Pérou a été présenté pendant un certain temps comme un modèle en matière de lutte contre le trafic de drogue dans la région andine. Les résultats semblaient éloquents : entre 1992 et 2001, on est passé de 130 000 à 49 260 hectares de culture de coca.

Washington a salué l’action du président Alberto Fujimori [qui démissionna en avril 2000] contre le trafic de stupéfiants, et la CIA était fière de compter parmi ses agents Vladimiro Montesinos, l’ancien chef des services secrets péruviens, qui s’est avéré être le plus grand corrompu [et narcotrafiquant] de toute l’Amérique latine. Mais les chiffres étaient trompeurs.

“La culture de coca a diminué, mais la production de cocaïne a augmenté”, explique Patricio Vandenberghe, le représentant au Pérou du Programme des Nations unies pour le contrôle international des drogues. “Le plus préoccupant, c’est que le rendement à l’hectare s’est accru, notamment dans la zone d’Apurímac, où la production atteint deux tonnes à l’hectare, alors que la culture traditionnelle de coca varie entre 400 et 800 kg à l’hectare.” Et il ajoute : “Eradiquer n’est pas une solution parce que cela prive les paysans de leur moyen de subsistance et qu’ils sont donc obligés d’émigrer vers les villes. Ce n’est pas constructif. L’objectif du Programme des Nations unies est d’offrir des solutions de rechange pour que les paysans n’aient pas pour seul recours la culture de la coca.”

Les actuels responsables de la lutte contre le trafic de drogue au Pérou rejettent l’“option zéro coca” mise en Suvre en Bolivie et en Colombie. Hugo Cabieses, un conseiller du responsable de la lutte contre le trafic de stupéfiants, cite des chiffres qui en disent long sur l’échec de cette politique : “Dans les années 1991-1992, les trois pays andins comptaient 210 000 hectares de coca. Entre 1992 et 2001, on en a éradiqué 300 000 hectares, par arrachage volontaire au Pérou, par la force armée en Bolivie et par épandage en Colombie. Or, en 2001, on se retrouve avec 230 000 hectares plantés de coca.”

La nouvelle politique proposée par Contradrogas, le service que dirige Vega Llona, part du principe que le problème de la production de coca n’est pas spécifiquement agricole, mais qu’il est lié à l’existence d’une monoculture. Ce n’est pas un hasard si la coca produit trois récoltes par an et offre une rentabilité sans commune mesure avec les autres cultures. Il faut par conséquent substituer à cette monoculture une autre économie fondée sur des produits et des activités licites, en limitant la coca à la consommation traditionnelle et à d’éventuelles utilisations thérapeutiques. “Il ne s’agit pas de promouvoir une ou deux cultures dans ces zones, mais une bonne quinzaine de cultures et d’activités économiques”, souligne Cabieses, qui évoque à titre d’exemple la possibilité de planter des palmiers à huile dans les zones forestières des hautes terres – le Pérou est déficitaire en huiles et en matières grasses –, tout en accroissant la production de coton. “Le Pérou n’a pas besoin de dons pour promouvoir le développement alternatif, mais d’une ouverture des marchés pour le commerce de l’huile de palme, du coton, de la canne à sucre (dont on extrait de l’éthanol, qui sert à produire du biocarburant), du riz, du maïs, de la papaye, de l’ananas, de la banane…”, énumère-t-il.

Pour cela, Cabieses réclame que le Sénat des Etats-Unis donne le feu vert à la loi de préférences douanières andines (ATPA). Par ailleurs, selon les calculs du responsable de la lutte contre les stupéfiants, il faudra dépenser 1,12 milliard de dollars (1,23 milliard d’euros) pour construire six axes routiers de la forêt vers la côte, afin que les produits puissent accéder au marché national et international.

Edwin Villanueva, ancien producteur de coca, préside une coopérative de 500 agriculteurs qui ont abandonné cette culture illicite pour se consacrer à la production de coton. Il s’est rendu à Lima, depuis le département d’Ucayali, pour demander au responsable de la lutte contre les stupéfiants un soutien financier pour l’achat de produits phytosanitaires. Il attend une réponse. “Nous voulons prouver au monde que la situation est en train de changer au Pérou, mais nous avons besoin d’aide.”

Francesc Relea


BRESIL

Quand l'armée ratisse la forêt amazonienne

Ces dernières semaines, l’armée brésilienne se livre à la frontière avec la Colombie à une opération militaire de très grande envergure qui associe l’armée de terre, l’aviation et la marine. La zone opérationnelle au cSur de la forêt amazonienne couvre 252 000 km2, soit une superficie légèrement supérieure à celle de l’Etat de São Paulo [et comparable à celle de la Belgique]. Le contingent de 4 000 soldats [20 000 selon le général Hedel Fayed, coordinateur de l’opération] est réparti sur des bases terrestres et navales, situées entre les communes de Tefé, Tabatinga et São Gabriel da Cachoeira, à l’ouest de l’Amazone. Les avions, hélicoptères et embarcations quadrillent la région de façon ostensible.

Les militaires apportent un démenti formel au sujet d’une éventuelle relation entre ces opérations et l’élection présidentielle du 26 mai en Colombie. Pourtant, d’après l’agence Folha, les faits sont indéniablement liés, particulièrement si l’on tient compte des actions menées dernièrement [par le gouvernement colombien] contre les guérilleros des FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie). Le conflit a repris de plus belle depuis la rupture, en février, des accords passés entre le gouvernement d’Andrés Pastrana et la guérilla. Les FARC ont abandonné la zone démilitarisée qu’elles occupaient et ont relancé leur offensive, remettant ainsi de nouveau le pays à feu et à sang.

Par ailleurs, les narcotrafiquants intensifient leurs opérations à la frontière. L’un des objectifs de l’opération Tapuru des Forces armées brésiliennes, planifiée dès le mois de décembre, consiste à localiser et à détruire leurs pistes clandestines. Il s’agit de tester les procédures de commandement, de soutien logistique et de communications utilisées par les trois unités si d’aventure l’état d’urgence était décrété.

La police fédérale se tient prête à intervenir en cas d’arrestation de trafiquants. Les derniers incidents survenus à la frontière entre le Brésil et la Colombie sont dus aux incursions des FARC. En mars dernier, un groupe de 197 Indiens menacé par des guérilleros est allé chercher refuge dans une base de Vila Bittencourt [Amazonie brésilienne]. Le conflit colombien avait déjà provoqué un incident diplomatique entre les deux pays, en 1998, lorsque les militaires colombiens avaient utilisé une piste, dans la région de Cabeça do Cachorro (Amazonie), sans l’autorisation du Brésil. L’incident le plus grave s’était produit en 1991, lorsque des guérilleros des FARC avaient tiré sur un détachement militaire brésilien du Rio Traira [le long de la frontière entre le Brésil et la Colombie], en tuant trois soldats et faisant neuf blessés. Sept des leurs y avaient laissé la vie.

Katia Brasil, Folha de São Paulo (extraits), São Paulo



Plan Pérou

De passage au Pérou en mars dernier, George W. Bush a envisagé de lancer un “Plan Pérou” pour contribuer à la lutte contre les guérillas et le narcotrafic local. Cette réplique exacte du Plan Colombie permettrait aux Etats-Unis de renforcer leur prépondérance militaire dans la zone andine.

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