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Les sales guerres de la coca
Courrier International n° 605 - 6-12 juin 2002


La culture de tout un peuple

Dans les pays andins, en particulier en Bolivie, la coca est une plante sacrée. Son éradication est perçue comme un génocide culturel.

THE GUARDIAN (extraits)
Londres

Les peuples andins utilisaient les feuilles de coca à des fins religieuses et médicales des milliers d’années avant que les hommes blancs n’apprennent à en extraire la cocaïne. Riches en vitamines et en minéraux, elles servaient traditionnellement à guérir des maux comme la dysenterie et le mal des montagnes. La grande majorité des Boliviens continuent à en mâcher quotidiennement pour prévenir la sensation de faim car mélangées avec de la cendre, elles ont un effet anesthésiant sur l’estomac. Dans les pays andins, tout décès, mariage ou autre rituel social ou religieux comprend une offrande de coca.“Garde ses feuilles avec amour”, ordonne la Légende de la coca, un poème oral vieux de huit cents ans. “Et quand tu sens la peine dans ton cSur, la faim dans ta chair et les ténèbres dans ton esprit, porte-les à ta bouche. Tu trouveras amour pour ta peine, nourriture pour ton corps et lumière pour ton esprit.”

Mais les prophètes prédisaient également que l’homme blanc trouverait le moyen de corrompre leur “plante petite mais forte” : “Si ton oppresseur arrive du nord, le conquérant blanc, le chercheur d’or, dès qu’il la touchera, il ne trouvera que poison pour son corps et folie pour son esprit.” Ce qu’ils n’avaient pas prévu, c’est que le retour de bâton serait aussi grave. L’homme blanc a réussi à extraire les 0,5 % de cocaïne, l’alcaloïde que contient la coca, à la fin du XIXe siècle. Les premières tentatives d’éradication remontent à 1949 après qu’une étude réalisée par Howard Fonda, un banquier nord-américain, eut affirmé que la mastication de cette plante était “responsable de la déficience mentale et de la pauvreté qui régnaient dans les pays andins”. Peu après, en 1961, les Nations unies inscrivaient la coca au tableau n° 1 des stupéfiants, en faisant ainsi une des substances les plus dangereuses à interdire absolument. Ce qui n’eut bien entendu aucun effet sur la consommation des Etats-Unis – où les cadres sniffaient des lignes de cocaïne tandis que les ghettos optaient pour son parent pauvre et bien plus dangereux, le crack. Dans les années 80, la superpuissance consommait plus de la moitié de la cocaïne produite dans le monde alors que ses habitants ne représentent que 5 % de la population mondiale. La Bolivie, l’un des pays les plus pauvres de la planète, vit un créneau à prendre et s’y précipita. Elle devait devenir le deuxième producteur de coca et de pâte de cocaïne du monde.

La coca, une plante rustique idéale pour les sol fatigués ou érodés, peut donner trois ou quatre récoltes par an. Désormais obligé de cultiver des haricots et des oranges dans le cadre du plan de développement alternatif financé par les Etats-Unis, Zenon Cruz, un ancien planteur de coca du Chapare, doit nourrir sa famille avec un revenu inférieur à celui qu’il avait auparavant. “Vous pouvez remplir un camion d’oranges et ne pas en vendre une au marché mais la coca se vend toujours comme des petits pains. Je me faisais 150 bolivianos par semaine avant qu’ils suppriment la coca. Maintenant, nous devons parfois nous battre pour en gagner 20. Comment peut-on nourrir une famille avec ça ?”

Certains continuent à prendre tous les risques pour jouir d’un revenu plus élevé. Quelques kilomètres plus bas, à la base militaire de Chimore, une jeune fille du coin est exhibée devant la presse. Alcira Marin, 16 ans, vient de craquer après trois jours d’interrogatoire : elle a admis avoir passé en fraude de la pâte de coca en l’avalant. Les pièces à conviction, quarante boulettes enveloppées de film plastique jaune, sont exposées sur une table derrière elle. “J’ai touché 300 bolivianos pour le faire murmure-t-elle. Je ne savais pas que je mourrais si une boulette éclatait à l’intérieur.” Avec la loi 1008, un texte impitoyable inspiré par la législation des Etats-Unis, elle risque de cinq à huit ans de prison.

Il ne fait pas de doute que le filet se resserre mais cela pourrait simplement avoir pour effet de faire monter les prix et d’encourager le développement de nouveaux marchés ailleurs. Selon la police antidrogue, les trois tonnes de cocaïne base qui ont quitté le Chapare en 2000 suffisent à générer quelque 4 millions de dollars, parce que les tarifs ont augmenté de 300 % au cours des dernières années. Pour ses détracteurs, la politique d’éradication aura pour seul effet de repousser les producteurs plus au cSur de la région amazonienne ou dans d’autres régions d’Amérique du Sud.

“C’est tout simplement la loi de l’offre et de la demande”, explique l’Américaine Kathryn Ledebur, la coordinatrice d’Andean Information Network, une organisation de défense des droits. “Il est inutile d’essayer de stopper la production dans les pays producteurs – c’est là où se trouve le marché qu’il faut lutter.” Si on élargit le tableau, la situation est effectivement décourageante. Alors que la Bolivie est passée du deuxième au troisième rang des exportateurs mondiaux de cocaïne derrière la Colombie et le Pérou, les quantités exportées vers les Etats-Unis et l’Europe n’ont pratiquement pas baissé, selon le rapport annuel de l’Organisme international de contrôle des stupéfiants (OICS). L’explication, c’est que la production a augmenté au Brésil et en Colombie, où le gouvernement n’a pratiquement aucun contrôle sur les territoires situés dans les zones tropicales. “C’est l’illustration parfaite de la théorie du ballon”, explique Kathryn Ledebur. “Si on exerce une pression à un endroit, ça gonfle ailleurs – à moins de s’attaquer à la demande. Mais au lieu de faire ça, on a une guerre qui se concentre sur les pauvres et ça ne marche pas.”

Sur un pan de colline en terrasses des vallées fertiles des Yungas, de l’autre côté du pays, un petit garçon vêtu du poncho et du bonnet de laine traditionnels s’agenouille pour faire son offrande à Pachamama, la mère de la Terre. Tandis qu’il défait un foulard plein de feuilles de coca, allume de l’encens et répand de l’alcool sur le sol, d’autres enfants s’approchent et chantent en quechua :

“Verte coca, tu es née de la terre/Ton parfum nous fait chanter joyeusement/Dans les champs au milieu des montagnes/Ma petite feuille de coca est une douce médecine/Pas une drogue qui fait du mal/Nous suçons ton suc qui nous aide au travail.”

C’est à la fois une cérémonie et une manifestation préventive. Les familles de cette région, qui reste le dernier endroit où la culture de la coca est autorisée en Bolivie, savent que les choses pourraient très bien tourner ici comme dans le Chapare. La loi 1008 octroie actuellement 12 000 hectares à la culture et la distribution de la coca dans les Yungas, mais les Etats-Unis avancent qu’il suffit de la moitié pour couvrir les besoins traditionnels.

“Nous avons la preuve que la coca des Yungas est détournée sur le marché illégal pour être convertie en produits à base de cocaïne”, affirmait en 2000 le rapport de l’ambassade américaine. Les gens du coin pensent que, s’ils cèdent maintenant, les Nords-Américains en exigeront toujours plus jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien. L’éradication était censée commencer ici dans le courant de l’année 2000 mais le pays a explosé en violentes manifestations. Les planteurs de coca ont dynamité l’unique route qui mène à la région et les éradicateurs ont fait marche arrière – jusqu’à l’année prochaine. On est donc dans une impasse mais personne ne se fait d’illusion, ils reviendront.

“Les enfants des Etats-Unis apprennent qu’ils doivent acheter des choses pour être heureux, que ce soit des baskets Nike ou un gramme de cocaïne”, explique Javier Castro, le conservateur du musée de la Coca de La Paz. “C’est ça le fond du problème et tout le monde sait que, s’ils ne peuvent pas obtenir leur drogue ici, ils iront tout simplement ailleurs. Dans le même temps, ils veulent complètement anéantir ma coca – c’est une sorte de génocide culturel. Ce sera comme si nous n’avions pas d’âme, pas d’esprit.”

Castro est l’un de ceux qui se sont battus pour que la feuille de coca soit reconnue comme une substance potentiellement thérapeutique et non comme un stupéfiant du tableau n° 1. Les randonneurs occidentaux qui voyagent ici boivent en permanence des infusions de feuilles de coca pour prévenir le mal des montagnes et une étude réalisée par l’université Harvard a établi que 100 grammes de coca bolivienne suffisaient largement à satisfaire les besoins journaliers en calcium, fer, phosphore, vitamines A et B2.

Contrairement à la croyance populaire, le coup de fouet que procure cette plante ne vient pas de son 0,5 % de cocaïne – qui est en fait détruit par la salive dans le tube digestif – mais de la transformation de ses hydrates de carbone en glucose et de son effet stimulant sur l’appareil respiratoire.

On trouve déjà trente produits à base de coca en Bolivie, qui vont du dentifrice à tout une gamme de pastilles. Pour les défenseurs de la plante, il s’agit là d’un potentiel considérable : on pourrait sauver le gagne-pain de plusieurs milliers de paysans pauvres en la commercialisant à l’Ouest. Or la seule société qui a réussi à contourner l’interdiction, c’est l’américain Stepan, qui – ironie suprême – importe en toute légalité 175 000 kilos de coca du Chapare chaque année pour fabriquer, entre autres choses, un arôme décocaïné pour Coca-Cola.

Nick Thorpe

Une lettre sur les drogues

Pour obtenir les meilleures données à jour sur la drogue dans le monde, vous pouvez consulter la Lettre internationale des drogues : geodrugs.com/fr . Ce bulletin mensuel, dirigé par Paskal Chelet et réalisé par l’Association d’études géopolitiques des drogues (AEGD), est financé par les abonnements et les subventions de fondations privées telles que la Fondation de France.


BOLIVIE

Un bon élève ?

Au cours de son mandat (1997-2001), l’ex-président et ancien dictateur Hugo Banzer consacra l’essentiel de ses efforts à l’éradication de la coca. La Bolivie, qui était devenue, dans les années 70 (au cours de sa dictature), le deuxième producteur mondial de coca (derrière le Pérou), n’est plus aujourd’hui qu’un producteur marginal. Entre 1995 et 2001, selon le bulletin de l’Association d’études géopolitiques des drogues (AEGD), les superficies illégales de cocaïers sont passées de 40 000 hectares à 6 000 (600 annoncés dans un premier temps par le gouvernement). 12 000 hectares, destinés à la consommation personnelle des Indiens (les feuilles de coca sont chiquées par les paysans et les mineurs ou consommées en tisane), sont par ailleurs autorisés par la loi. Le succès de l’éradication en Bolivie – réalisée manuellement par l’armée – a largement été reconnu et salué par les Etats-Unis et les Nations unies, qui ont souvent cité le pays en exemple. Mais ce succès reste précaire. Les 30 000 familles de paysans qui cultivaient la coca doivent continuer à survivre dans une économie en récession. Et les révoltes de cocaleros (producteurs de coca) se multiplient, notamment dans la région du Chapare, où elles sont souvent violemment réprimées par l’armée.

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