PROHIBITION OU LEGALISATION- L’ECONOMIE DES DROGUES – UNE NOUVELLE VISION.
CORPORACION ESCENARIOS
Le thème des drogues a été beaucoup étudié et depuis des angles très différents.
La polarisation du débat international entre “prohibitionnistes” et “légalisateurs”
a contribué à paralyser dans la pratique la recherche d’alternatives
intermédiaires qui pourraient facilement concilier la nécessité de réguler
socialement la consommation des hallucinogènes et minimiser les coûts dérivés de
leur poursuite, lesquels commencent déjà à être supérieurs aux bénéfices
résultant de la prohibition. Cette “impasse” d’une guerre que tous considèrent
perdue sans que personne n’ose le déclarer s’explique par le fort contenu moral
que l’on a souhaité donner au débat, les uns diabolisant la consommation
de drogues tandis que les autres la défendent en avançant l’argument du droit
absolu et inaliénable de l’individu à les consommer au nom de l’exercice de son
libre arbitre. L’acharnement solitaire des Etats-Unis à transformer la lutte
contre les drogues en une sorte de croisade morale comme le fut à son époque la
campagne contre le communisme ou plus récemment la lutte contre le terrorisme a
grandement contribué au processus de stigmatisation de la consommation des
drogues. La diplomatie américaine est ainsi parvenue à ce que l’opinion mondiale
ne pense pas que les drogues sont bonnes ou mauvaises selon leurs
caractéristiques intrinsèques et les dommages à la santé qu’elles peuvent
causer, mais parce qu’elles sont ou ne sont pas interdites internationalement et
cette “prohibition”, comme le démontre le développement historique des
différentes conventions et instruments normatifs liés à la fiscalisation des
stupéfiants, a eu beaucoup plus à voir avec la politique qu’avec la science; ce
sont ainsi les politiques et non les médecins qui ont pris la décision finale
concernant les drogues qui devaient ou non être considérées comme illégales. Le
ton moral du débat s’est vu renforcé par la position radicale de plusieurs pays,
en particulier musulmans, dans lesquels la consommation des drogues, comme celle
de l’alcool, est rejetée pour des raisons strictement religieuses; s’agissant
pour la majorité de ces pays de régimes politiques théocratiques ou
autocratiques, les raisons de l’interdiction n’ont rien à voir non plus avec la
nocivité sociale de la consommation sinon avec des raisons d’Etat.
La tendance récente à orienter la discussion vers ce que l’on pourrait appeler
“l’économie des drogues” offre une perspective plus objective pour planter le
débat de l’interdiction ou de la légalisation sur des terrains moins liés aux
préjugés moraux et aux intérêts politiques. Le propos de ce travail est
d’explorer cette nouvelle perspective économique du problème. Comment fonctionne
réellement le marché des drogues? Quelles lois le régissent? Comment répond le
consommateur à leur interdiction? Quels sont les coûts et les bénéfices
économiques de l’interdiction? Qui perd et qui gagne réellement dans cette
répression des drogues? Enfin, il s’agit de sortir le débat de l’ornière dans
laquelle il se trouve aujourd’hui, radicalement divisé entre le prohibitionnisme
fondamentaliste et la légalisation libertaire et de trouver une explication plus
logique, si celle-ci existe. Sur cette voie de l’examen économique du problème,
nous pouvons parvenir à des conclusions paradoxales et surprenantes, ainsi par
exemple, en raison de cette dynamique économique particulière, des intérêts
apparemment juxtaposés comme ceux qui animent les narcotrafiquants et les
agences prohibitionnistes qui les poursuivent peuvent terminer par converger
dans l’exploitation du risque; les études indiquent que le marché des drogues
monopolisé par les organisations criminelles, face à une plus grande répression
et en présence d’une demande relativement inélastique de celles-ci, augmente les
profits du commerce et y stimule l’entrée de nouveaux distributeurs illégaux.
Depuis des temps immémoriaux, l’économie des drogues est jalonnée de ce type de
paradoxes. On ferma à Rome les sept cent échoppes d’opium qui existaient et qui
généraient 15% des recettes fiscales de l’empire lorsqu’on se rendit compte
qu’en raison des marges élevées de profit du
commerce, les capitaux de production pourraient fuir depuis la capitale vers
l’Asie pour financer l’expansion de cultures et le commerce.
La première difficulté que l’on rencontre dans la tâche difficile d’avancer des
hypothèses théoriques sur l’économie des drogues est le manque d’informations
accessibles, systématiques et fiables sur celles-ci. Les agences chargées de la
fiscalisation ont fini par construire leurs propres systèmes d’information qui
fonctionnent comme des tautologies autoréférentes, à savoir, qui se légitiment
et se renforcent d’eux-mêmes pour justifier la permanence de ceux qui les
utilisent dans leur combat. En Colombie nous avons été victimes de ce syndrome
avec les informations sur la réduction des cultures illicites; les chiffres de
quelques satellites internationaux très “obéissants” auxquels peu ont accès,
s’accommodent selon l’intérêt des agences nord-américaines ou européennes de
l’augmentation ou de la diminution du rôle de leurs concurrents et pouvoir
négocier, ainsi, des augmentations de leurs propres budgets. Naturellement,
cette attitude a fini par diviser la lutte internationale et par ouvrir la voie
à une concurrence absurde entre les différentes agences qui en étaient chargées.
Non moins importantes dans cette première approche économique du problème, les
distorsions que les drogues produisent dans le développement des économies
qu’elles gangrènent en créant et en alimentant de puissantes économies
souterraines qui constituent une menace non seulement en raison de leur poids
spécifique dans le produit intérieur brut (Kopp,
2003) mais aussi en raison de l’effet néfaste du mouvement clandestin des
flux de capitaux sur les taux de change; l’augmentation de la contrebande; la
spéculation immobilière; la concentration des terres rurales ou l’inflation
alimentaire. Les organisations criminelles à travers le blanchiment de leurs
profits, minent peu à peu, comme ils l’ont fait en Colombie, le tissu
patrimonial de production, représenté par des propriétés qui changent leur
vocation de production à des fins d’accumulation. Résultat de ce phénomène, la
propriété dans ces pays vaut toujours plus mais produit moins. Non moins
important dans cette analyse, le “coût éthique” de cette pénétration qui détruit
des valeurs comme celle du mérite conféré au travail et les remplace par
d’autres comme l’enrichissement facile qui finit par alimenter la corruption
publique.
Bien que les partisans de la légalisation des drogues avancent comme argument le
droit absolu de l’homme de décider de sa vie, la chose certaine est que
l’environnement dans lequel ce même homme, débarrassé de ses entraves,
exercerait son droit ne peut être ignoré. Même si la pensée néolibérale
(Friedman,
2000) qui défend l’alternative non prohibitionniste finit par se
retrouver sur ce point avec les penseurs de gauche les plus radicaux, ils
diffèrent cependant de manière substantielle sur le rôle qu’ils assignent à
l’Etat en cas de développement d’une politique alternative; pour les
progressistes la présence de l’Etat à la tête de la stratégie de légalisation ou
dépénalisation est aussi importante que sa présence actuelle à la tête de la
stratégie répressive. L’Etat doit être présent pour taxer les profits résultant
du nouveau commerce autorisé; pour réguler et prévenir la consommation; pour
combattre les organisations criminelles qui survivent, habituées qu’elles sont,
à vivre de la violence qu’elles génèrent. Le dilemme de fond est le suivant:
comment une société peut-elle réguler une marchandise dont la valeur privée est
supérieure à la valeur sociale (Kopp, 2003).
De la réponse qui sera donnée à cette grande interrogation dépendra l’avenir de
la politique actuelle de fiscalisation et de contrôle du trafic international de
stupéfiants. Il existe des preuves économiques qui amènent à penser - sans
recourir à des jugements éthiques ou des partis
pris politiques - que les problèmes
des drogues sont plus associés à leur répression qu’à leur consommation. Et,
plus encore, qu’il s’avèrerait plus économique et plus efficace d’exercer sur
elles un contrôle par le biais de la régulation du marché que d’insister sur la
politique répressive actuelle.
Finalement, ce dont on débat dans cette nouvelle perspective économique, ce
n’est pas la question de savoir si les drogues sont ou ne sont pas nocives ou si
les consommer est éthiquement correct; il s’agit bien de savoir si le coût
actuel de la politique répressive rapporté au coût social des dommages qu’elle
est en train de causer (instabilité institutionnelle, augmentation des crimes,
destruction de l’environnement, corruption) fait de la politique de poursuite
actuelle une activité économiquement “efficace”. Si elle ne l’était pas, la
répression ne vaudrait tout simplement pas la peine.
Le marché des drogues: un marché atypique
Le marché des drogues ne fonctionne pas comme n’importe quel marché; si c’était
le cas, il serait facile de mettre en adéquation les actions de politique
criminelle avec des objectifs de réduction de l’offre et de la demande des
drogues pour obtenir des résultats prévisibles. Les pays consommateurs qui
conçoivent et valident aujourd’hui la politique prohibitionniste, partent de
l’hypothèse inacceptable que le marché international des stupéfiants est
alimenté parce que ceux-ci sont produits et que l’existence d’une demande
s’explique parce que des drogues sont offertes. Contrevenant à la règle
classique selon laquelle toute demande génère sa propre offre, dans le cas des
drogues, et en raison des convenances associées à la politique criminelle
internationale, l’idée a fait son chemin selon laquelle la demande de drogues
n’existerait pas si celles-ci n’étaient pas produites. On affirme qu’une
réduction de l’offre de drogues, résultat d’une plus grande interdiction, doit
amener à une hausse de ses prix de vente, et cette dernière à une réduction de
la demande. La réalité démontre cependant que les campagnes contre la production
et la distribution de drogues ont fini, en de nombreuses occasions, par faire
augmenter leur consommation à des prix soutenus, voire même plus élevés; le
scénario est faussé parce qu’on n’inclut pas dans
lesdites analyses le facteur “risque” comme composante du prix final des
drogues; les cartels organisés, confrontés à une augmentation de la répression,
répondent en remplaçant leurs canaux de commercialisation, en baissant la
qualité de la drogue offerte (en la mélangeant avec d’autres substances
succédanées) ou en mettant sur le marché des marchandises conservées en stock.
Cette capacité à répondre au durcissement de la politique prohibitionniste
s’explique par le fait que le risque majeur dérivé de la répression se traduit
sur le moyen terme par une augmentation des profits provenant de prix plus
élevés que les consommateurs les plus fidèles sont disposés à continuer de
payer. A la différence des industries légales dont les coûts montent lorsque la
consommation chute, dans le cas du commerce de la drogue, du fait de la
condition inélastique de sa demande qui maintient la consommation, les coûts ne
diminuent pas, voire chutent lorsque le risque s’intensifie par suite de
l’action répressive. La politique antidrogue, strictement destinée à réduire les
niveaux d’offre, finit ainsi par agir comme une politique de “soutien des prix”
qui ne produit pas d’impacts significatifs sur la réduction du marché dans la
mesure où existent d’autres types d’“externalités” qui influent beaucoup plus
sur la détermination du prix final, ainsi les niveaux d’organisation des cartels
criminels, la corruption des agents contrôleurs, les stocks disponibles et les
liens avec les distributeurs au détail. Même durant les périodes où la
répression a redoublé, l’augmentation des prix des drogues n’est pas parvenue à
des niveaux assez hauts pour entraîner un retrait massif des consommateurs du
marché (Wisotsky,
1994).
Le rapport entre l’offre et la demande de drogue est inélastique, à savoir que
des changements significatifs dans les quantités offertes ne se reportent pas
nécessairement sur les prix et sur les quantités demandées. En présence de
marchés morcelés et de cartels organisés, les faits démontrent que des efforts
réalisés pour intensifier l’interdiction ne se
sont pas traduits par des ajustements de plus de 10% à 15% du prix final au
consommateur. Lorsque la demande d’un produit est inélastique, à savoir lorsque
la quantité demandée ne dépend pas du prix offert, comme c’est le cas avec les
drogues illicites, les plus grands efforts répressifs produisent des résultats
moindres que ceux que l’on obtiendrait si les drogues étaient soumises à des
taxes élevées après avoir été légalisées (Becker
& et al, 2005). Exprimé d’une autre manière, dans cette hypothèse de
travail sur des scénarios de légalité ou d’illégalité, la décision de réprimer
un bien est beaucoup moins efficace, en termes de rentabilité économique pour
l’Etat, que l’imposition d’une taxe accompagnée de campagnes éducatives pour
réduire sa consommation.
Le rôle que jouent les consommateurs, comme éléments déterminants de la demande,
est également décisif dans la caractérisation de ce marché atypique. Tous les
consommateurs ne se comportent pas de la même manière: il y a les consommateurs
occasionnels, les fidèles et les toxicomanes. Les consommateurs fidèles se
comportent “rationnellement” et contribuent à la stabilité du
marché car ils sont disposés à accepter des augmentations du prix
(résultant d’une plus grande interdiction) sans modifier de manière
significative leurs niveaux de consommation; ainsi de par leur attitude, un
risque plus élevé se traduira par plus de
profits pour les réseaux criminels. En suivant cette “rationalité atypique” les
consommateurs modifient leurs décisions de consommation en rendant la demande de
drogues plus ou moins élastique en fonction des niveaux des prix; si les prix
sont bas, ils sont disposés à consentir un effort financier plus important pour
soutenir leurs niveaux de consommation; si les prix montent à des niveaux
inabordables, ils essaieront de chercher d’autres alternatives de consommation
qui leur offriront la même satisfaction avant de la réduire
(Blair & Vogel, 1983). Dans ce scénario,
les augmentations de la demande de drogues, indépendamment de leurs prix,
seraient le résultat d’une “addiction rationnelle”
à la consommation (Stigler & Becker,
1977). Les consommateurs des couches élevées conservent leur fidélité au
marché tandis que les consommateurs des couches inférieures trouvent
généralement d’autres alternatives pour faire face aux réductions sporadiques
des quantités offertes avant de penser sérieusement à limiter leur consommation.
Dans l’avenir, il est impossible de prédire quel sera le modèle de réponse face
à une alternative différente de la fiscalisation, à savoir une dépénalisation
progressive de la vente et de la consommation de drogues ou même leur
légalisation définitive; on peut prévoir que tous les consommateurs ne
répondront pas de la même manière à un changement dans les règles du jeu
résultant d’un système alternatif au prohibitionniste; il y aura un groupe, la
majorité, qui continuera de s’abstenir de consommer; un autre qui augmentera ses
niveaux de demande, dans la mesure où ses revenus le lui permettront et un
dernier qui pourrait se sentir enclin à essayer les nouvelles substances
autorisées (Kopp, 2003). Il est difficile
de faire des pronostics à cet égard sans tenir compte du rôle que jouera l’Etat
pour parvenir dans une première étape, même si la consommation augmente,
à ce que le nombre de consommateurs ne le fasse pas au même rythme.
Le rôle que joue le système de distribution est également important dans cette
analyse. Friedman pense, tout simplement, que la répression augmente les
bénéfices des narcotrafiquants et leur désir d’être dans le commerce. Face à une
augmentation de l’interdiction, les agents commerciaux impliqués dans le marché
des drogues répondront différemment: les plus organisés mettront la conjoncture
à profit pour justifier une augmentation de leurs profits qu’il leur sera facile
de rendre effective. Dans le cas du marché de l’héroïne au Royaume-Uni, on a
constaté qu’une augmentation des politiques répressives de 2.5% à 5% augmentait
le prix de l’héroïne entre 1.4% et 2.5%
(Wagstaff & Maynard, 1988). Les agents moins organisés adopteront une
attitude défensive et certains pourront le quitter, tandis que d’autres,
impliqués dans différents marchés illicites voisins des drogues (comme la
contrebande) pourraient se sentir tentés d’y entrer, attirés par les nouveaux
profits dégagés par les agents déjà établis. Nous développerons ce sujet lorsque
nous examinerons le thème de la rationalité économique qui anime les
organisations criminelles impliquées dans l’économie des drogues.
Le résultat final des campagnes d’interdiction, mesuré en termes de quantités
saisies, suggère un impact à peine “marginal” eu égard aux niveaux de production
et de commerce des drogues interdites. Au Pérou, par exemple, au cours de
l’année 1992, considérée comme une bonne année dans la lutte contre les drogues,
sept tonnes de cocaïne ont été saisies, lesquelles équivalaient à un peu plus de
1% du total de la cocaïne demandée aux Etats-Unis pour cette même année. Pour
estimer la valeur du trafic de cocaïne, on considère que les prix d’achat/vente
dans les ports de destination aux Etats-Unis et dans onze pays d’Europe
occidentale équivalent à la valeur minimum des prix en gros à l’intérieur de ces
pays. Pour 1992, c’étaient 11 000 dollars le Kg aux Etats-Unis et 47 000 dollars
le Kg en Europe. Si ces prix sont multipliés par les chiffres du volume total
des importations aux Etats-Unis et en Europe, chiffres estimés sur la base de la
saisie de 39% du trafic réel (correspondant à l’année immédiatement précédente
pour laquelle on possède les données des saisies) en ajoutant les données des
autres pays qui importent de la cocaïne (une quantité qui avoisine les 5 tonnes)
on arrive à la valeur minimum probable du trafic mondial.
Le coût minimum des importations de cocaïne en 1992 -une année assez
représentative du trafic moyen des 5 premières années de la décennie 90- aurait
été de 7 205 millions de dollars aux Etats-Unis, 2 250 millions de dollars en
Europe et 55 millions de dollars dans les autres pays importateurs. Ce qui donne
un total de 9,5 milliards de dollars pour l’ensemble des importations mondiales
de cocaïne. Même en conservant comme indicateur de prix minimum en gros les
valeurs d’achat/vente dans les ports de destination des Etats-Unis et d’Europe
–qui sont assurément trop bas mais en appliquant la limite inférieure pour
l’indice d’interception donné par la Direction de la Lutte anti-drogue des
Etats-Unis, lequel est de 24%, les importations mondiales de cocaïne pour
l’année 1992 auraient été de 14,5 milliards de dollars
(Druetta).
Le comportement des cultures illicites aide à comprendre, ponctuellement, la
situation atypique du marché des drogues; les cultures illégales de coca dans le
Sud de la Colombie sont pratiquement irremplaçables par des cultures
alternatives offrant une rentabilité comparable, à l’exception de certains
produits comme la palme africaine et le caoutchouc. Il existe des facteurs
externes comme le coût du risque, la distance entre les centres de production,
la disponibilité des semences, l’assistance technique, le crédit pour la
consommation durant le temps de culture et le transport entre le site de
production et celui de collecte qui influent beaucoup plus sur la détermination
du prix final de la marchandise que les prix de transaction de celle-ci. En
1994, le gouvernement colombien a lancé une proposition de cultures alternatives
(PLANTE) qui visait précisément à “concurrencer” les producteurs de coca en
soutenant les paysans avec des facilités de crédit, de transport et d’assistance
technique qui rendraient plus rentable le remplacement de leurs cultures; le
manque de ressources pour étendre massivement le programme et le manque
d’intérêt international pour l’appuyer, à de rares exceptions, ainsi le
Président français Jacques Chirac qui proposa la création d’un Fonds Mondial
pour acheter à des prix de marché les récoltes illicites, expliquèrent cet
échec. La fumigation aérienne des cultures est demeurée la principale manière de
les éradiquer; les cultivateurs ont répondu aux épandages aériens en déplaçant
leurs parcelles vers des endroits plus sûrs, dissimulés au milieu de la forêt ou
même en améliorant les conditions de productivité de leurs plantations pour
obtenir le même rendement avec des surfaces de culture moins grandes. La
présence solitaire de cultures de coca d’il y a quelques années a aujourd’hui
gagné comme par “métastase” vingt-trois Départements, en réponse à
l’interdiction. Les zones de cultures illicites, pendant ce temps, ont subi les
effets d’une espèce de “syndrome hollandais” en raison de l’augmentation
exagérée des salaires et du prix des biens et services de base qui faussent les
modèles de rentabilité des cultures traditionnelles dans la zone
(CEPAL 1997). La faible présence de
l’Etat colombien dans les zones de cultures illicites
(les zones où se concentrent 47% des
cultures illicites reçoivent à peine 6% de l’investissement national), l’impact
produit par le Plan Colombia récemment aboli dont la composante militaire pour
la destruction des cultures fut toujours au-dessus de la composante sociale
nécessaire à sa légitimation et les conditions économiques précaires des régions
affectées indiquent qu’en Colombie le temps de la fumigation aérienne des
cultures illicites est révolu et que ce qui se dessine dans l’avenir repose sur
la nécessité de construire un nouvel espace pour la gestion sociale des cultures
illégales et leurs développements alternatifs.
Parmi les caractéristiques qui font du marché des drogues un marché sui
generis figure le principe des vases communicants. Principe selon lequel de
par la dynamique même de son marché, lorsqu’une pression déterminée s’exerce sur
un point de celui-ci, le phénomène se déplace vers une autre partie où elle se
manifeste même avec une plus grande force. Le comportement des cultures
illicites illustre clairement cette condition. Les registres historiques de
production de la coca dans les Andes montrent clairement toutes les fois où
l’éradication de ces cultures s’est intensifiée dans une partie de la zone
andine. Par exemple, dans le Sud de la Colombie, la production s’est déplacée
vers la région du Chapare bolivien ou du côté péruvien. Les routes du
narcotrafic ont connu le même phénomène; ainsi, lorsque l’interdiction se
concentre dans une zone maritime ou terrestre, le marché trouve de nouvelles
voies alternatives avec une surprenante efficacité. C’est ce qui s’est passé
lorsque la forte interception maritime exercée dans la mer des Caraïbes à la fin
des années 90 a déplacé les routes vers le Mexique d’où elles se déplacent
aujourd’hui vers le Guatemala, le Honduras et le Salvador, à mesure que
progresse la répression dans le nord de la péninsule aztèque.
Un phénomène similaire s’est produit lorsque la forte répression exercée sur les
cultures de marijuana au Mexique dans les années 70 a déplacé la production vers
la Sierra Nevada de Santa Marta, sur la côte Caribéenne de la Colombie. Le
principe s’applique également vis à vis de la consommation lorsque la pression
exercée sur un groupe déterminé de consommateurs, défini socialement ou
géographiquement, déplace rapidement la demande vers d’autres lieux ou drogues
succédanées. Le fonctionnement des vases communicants s’explique par les fortes
marges de profit du commerce, lesquelles octroient aux commerçants un niveau
élevé de flexibilité pour introduire des changements rapides dans leurs
politiques de production, exportation et commercialisation, cohérents avec les
menaces qui pèsent sur eux. Dans certains cas, les narcotrafiquants peuvent
jouer sur la psychose de l’interdiction pour transférer “un peu plus” du risque
du commerce vers le prix final lorsque les marchés sont menacés et que les
consommateurs ont une lattitude suffisante pour maintenir leurs préférences
(Becker
& et al, 2005).
Les dommages sociaux de la répression. Combien coûte-t-elle?
Si les coûts engagés pour maintenir un bien sur un marché sont supérieurs aux
profits que génère sa vente, l’activité de production du bien en question cesse
d’être rentable. C’est précisément ce phénomène qui commence de se dessiner
depuis plusieurs années avec le marché des drogues; le coût de leur prohibition
mesuré à l’aune des dommages que cause la politique répressive – augmentation de
la criminalité, corruption, congestion judiciaire et carcérale, destructions
environnementales dues aux fumigations des cultures illégales- ont commencé
d’être supérieurs aux bénéfices économiques et sociaux obtenus par la réduction
de la consommation. Parmi ces coûts collatéraux, et plus particulièrement ceux
qui affectent les pays producteurs, on trouve la violation des droits de l’homme
et des garanties sociales. Le bellicisme apparu à la suite de la guerre contre
les drogues s’est transformé en un instrument permettant de méconnaître et
violer les libertés civiles dans ces pays et justifier des expéditions punitives
(CEPAL, 1997). La Cour Suprême des
Etats-Unis a autorisé en deux occasions (1990-1992)
les forces de sécurité américaines à conduire des opérations
anti-narcotiques en territoires étrangers sans recourir à des ordonnances
judiciaires et en faisant fi du respect des règles figurant dans les traités
d’extradition bilatéraux en vigueur. Bien heureusement, le débat international
entre “légalisation” ou “prohibition” a commencé de tourner autour de la
nécessité de contrôler et réduire les dommages occasionnés par le
prohibitionnisme tandis que se dessine une politique alternative à la politique
répressive. Un exemple assez évocateur du phénomène des dommages collatéraux
produits par les drogues est celui de l’utilisation de seringues usagées pour
l’application des doses d’héroïne qui a fait exploser dans certaines parties du
monde les niveaux de la contamination par le SIDA. Quelle serait le moindre mal
dans ce dilemme entre la consommation d’une drogue ou la plus grande
contamination par le SIDA? Il s’agit d’un choix économique pour trouver la
politique publique qui obtiendra la consommation de drogue la plus faible avec
le coût social minimum en la combattant.
Le problème des dommages collatéraux produits par la lutte contre les drogues
est particulièrement sensible en Colombie. Par suite de la lutte qu’a connu le
pays au cours des trente dernières années contre le narcotrafic dont dérive
l’afflux tumultueux de capitaux clandestins, on
a réévalué le peso colombien à un point tel que le taux de change sur le marché
noir est demeuré durant de nombreuses années en dessous du taux officiel;
les zones dans lesquelles sont produites les cultures illicites ont été
pour leur part dévastées sur les plans environnemental et social par les
fumigations aériennes et on a assisté à des déplacements de paysans et
d’indigènes sur tout le territoire national; les groupes armés ont renforcé avec
l’argent obtenu des activités liées au narcotrafic leur capacité subversive et
terroriste; l’Etat a dû reporter les investissements sociaux pour financer le
combat contre la production et l’exportation de cocaïne et d’héroïne; on a payé
des coûts institutionnels très élevés en matière de justice, transparence
démocratique et liberté d’opinion au nom de cette même lutte. La question que se
posent beaucoup de colombiens tous les jours est de savoir si cet investissement
de plusieurs points du PIB est justifié en termes économiques pour produire sur
la chaîne finale du commerce un effet à peine marginale sur la réduction de la
consommation.
Dans les pays consommateurs, le dommage social est associé avec des niveaux plus
importants d’accidentalité, de faibles résultats scolaires, des crimes liés à la
distribution criminelle, les coûts de fonctionnement de la justice et les dégâts
institutionnels liés à la corruption des autorités. Une réduction du coût social
de la lutte contre les drogues semblerait impliquer, non seulement une réduction
des coûts dérivés de la criminalisation mais aussi une diminution des coûts de
leur abus. Aux Etats-Unis, il est évident que l’illégalité conduit à la
corruption des agents chargés de la
répression légale et monopolise les efforts des forces honnêtes de la loi qui
doivent survivre en cherchant des ressources pour combattre les rebelles et les
voleurs (Friedman, 2000).
Le dommage social entraîné par les campagnes punitives pourrait être géré au
travers d’une politique alternative régulant fiscalement les niveaux de vente et
de consommation via l’imposition d’une “taxe de rétribution” qui redistribuera
en fonction de la consommation de chaque pays les coûts mondiaux de la lutte
contre les drogues (Universidad Nacional, 1994).
Il s’agirait de transférer aux pays consommateurs, qu’ils soient ou non
producteurs, proportionnellement à leurs niveaux de consommation, une partie des
coûts que payent aujourd’hui principalement les pays producteurs par suite d’une
politique inégale, asymétrique et par conséquent injuste. En suivant une logique
semblable à celle des contributions d’indemnisation en matière environnementale
sur le principe du pollueur-payeur, il s’agirait ici d’accorder une taxe de
rétribution versée sur un principe consommateur-payeur afin d’aider à financer
les coûts de la lutte.
L’impérieuse nécessité de minimiser le coût social des dommages causés par la
répression des drogues –qui est la thèse qui s’est dessinée au cours des
dernières années– est combattue par les prohibitionnistes qui savent
qu’emprunter cette voie peut se conclure par la légitimation d’une politique
alternative à compter du moment où les bénéfices sociaux de la répression seront
dépassés (comme cela commence de se produire) par les coûts de celle-ci. Cette
politique alternative pourrait consister en une sortie “négociée” (en se basant
sur Coase) intégrant des éléments des deux politiques ou une légalisation
régulée compensant les coûts sociaux en réduisant la consommation à des niveaux
gérables en termes de santé publique (Kopp,
2003). Il est clair que si, en plus de la réduction des coûts de la
répression dérivés du passage d’une politique punitive à une politique
préventive, on obtient de nouvelles recettes fiscales qui serviraient à couvrir
les coûts sociaux actuels qui ne sont pas couverts aujourd’hui tels que les
dommages environnementaux causés par les aspersions aériennes sur les cultures
illicites ou la consommation de drogue dans les écoles, la “sortie économique”
que l’on propose ici renforcerait la décision politique de minimiser le coût
social du crime (Becker & et al, 2005).
Certains auteurs (Hicks et Kaldor) ont développé des modèles de classement des
politiques publiques avec lesquels on peut calculer l’effet net du rapport entre
le coût social de la lutte contre les drogues et le coût social de leur
consommation et les classer ensuite en fonction de leur capacité
à s’approcher de l’efficacité économique
(Kopp, 2003); aux Etats-Unis, on est
parvenu à estimer à 3.8% du PIB le coût social dérivé du contrôle du tabac, de
l’alcool et des drogues; ces dernières pesant 0.4% face aux 2.4% que coûte le
tabac.
La rationalité économique des organisations criminelles
Les mafias qui opèrent sur le marché des drogues se comportent comme des
organisations criminelles: elles forment des structures détenant un monopole
s’appuyant sur l’utilisation de la violence, elles agissent selon leurs propres
codes, elles ont leurs juridictions territoriales et leurs propres arbitres,
développent des formes de sanction pour faire respecter leurs règles et
réagissent de manière atypique aux signaux du marché. Leurs structures ne sont
pas hiérarchiques
(Kopp, 2003) car elles opèrent à
travers des réseaux qui leur permettent de compartimenter les informations,
empêcher que les producteurs et distributeurs ne se connaissent et contrecarrer
l’action des autorités pour assurer leur présence sur un marché dont le prix
pour en sortir est celui de la liberté: un prix trop élevé pour ne pas essayer
de l’éviter.
Ces organisations sont préparées à faire face aux cycles économiques résultant
des campagnes répressives et à intervenir avec rapidité sur le marché en
employant le pouvoir intimidant de leurs armes ou le pouvoir dissuasif de leurs
puissants carnets de chèque; les narcotrafiquants de moindre importance qui
opèrent sur le même marché se comportent avec moins de rationalité et sont
fréquemment “sacrifiés” par les grands cartels pour maintenir leur prééminence;
l’augmentation de la répression “retire” du marché les nouveaux trafiquants et
consolide les organisations traditionnelles qui obtiennent ainsi la possibilité
de gagner plus de points de vente et de profits
(Friedman, 2000). Le monopole du
crime aux mains de quelques organisations criminelles génère moins de coûts
économiques que la concurrence entre elles. A l’exception notable de la
marijuana, la drogue la plus vendue, représentant les plus gros volumes et dont
la production est répartie dans plus de 120 pays et est concentrée aux
Etats-Unis, le marché des stupéfiants a de petites dimensions qui le rendent
assez gérable: la production mondiale d’héroïne tient dans 40 camions et celle
de cocaïne dans 90; l’Afghanistan et la Birmanie produisent entre 85% et 90% de
l’héroïne tandis que la Bolivie, la Colombie et le Pérou concentrent 80% des
cultures illicites de coca.
La plus forte valeur ajoutée des drogues se produit au moment de leur
distribution au détail; le paysan andin reçoit à peine un 1% du prix de vente
final de la cocaïne, tandis que l’exportateur en reçoit 12%. Avec des marges
aussi élevées, les possibilités d’agir de manière flexible en changeant les
sites de culture, les routes d’exportation et les lieux de consommation ou en
liquidant les stocks pour contrecarrer les mouvements répressifs cycliques sont
très grandes. Même si les cartels et leurs intermédiaires peuvent contrecarrer
les campagnes d’interdiction, cela ne signifie pas qu’ils peuvent agir
librement. Ils peuvent, en jouant sur l’inélasticité de la demande, transférer
sur le consommateur le prix plus élevé résultant
du “niveau d’interdiction” sans pour autant le décourager.
Ils peuvent également recourir aux mélanges de substances en modifiant la
qualité du produit qu’ils vendaient à l’origine avec un risque plus élevé pour
la santé des acheteurs. Dans ces conditions, il ne faut pas s’étonner que la
politique prohibitionniste -en termes de rentabilité d’une politique publique–
ne donne pas de résultats.
Les organisations criminelles se comportent avec une rationalité qui peut être
comparée à celle des grands conglomérats légaux. La différence réside dans le
fait qu’ils utilisent des instruments comme la violence et la corruption pour
consolider leurs marchés, développer des environnements monopolistiques et
maintenir la fidélité de leurs consommateurs et réseaux commerciaux. Dans le cas
présent, la compétitivité géographique des entreprises légales est remplacée par
le concept de territorialité et la sécurité institutionnelle par leur capacité
d’intimidation ou de corruption au sein d’une clandestinité qui est leur monde
(Kopp, 2003).
On a surdimensionné le rôle du blanchiment institutionnel des actifs à travers
le système bancaire dans le soutien et la reproduction de ces organisations
criminelles qui continuent d’utiliser des formes d’accumulation primitives des
actifs ou devises en espèces pour dissimuler les profits obtenus
(Kopp,
2003). En Colombie, les cartels ont fréquemment eu recours pour
dissimuler leurs bénéfices à de considérables investissements dans des biens
meubles et immeubles comme des établissements de luxe, des latifundios, des
billets gagnants de loterie, des chevaux, des œuvres d’art, des équipes de
football, des spectacles avec de grosses billetteries ou, simplement, des
poubelles remplies de dollars. La disponibilité de l’argent en espèces leur
permet des payer des honoraires légaux, des pots de vin et des transferts et
d’acquérir des biens comme des armes, des véhicules, des radiotéléphones et des
refuges qu’ils utilisent ensuite pour protéger leurs affaires. Bien que
certaines études
(Yitzhaki & Slemrod, 1987)
montrent que les politiques publiques menées contre le blanchiment des actifs
produisent des résultats supérieurs à ceux que l’on obtiendrait en luttant
contre l’évasion fiscale d’une activité légale, elles n’incluent pas les coûts
institutionnels dérivés de la formation, par ces organisations criminelles, de
véritables “paraétats” qui cherchent à combattre, de manière persuasive ou
coercitive, les autorités qui les répriment. Au final la lutte des Etats contre
ces puissantes organisations – comme on l’a vu en Colombie et comme on le voit à
présent au Mexique – ne se résume pas “à les retirer du marché” mais à la
défense de l’Etat de Droit qui n’a pas de prix ou d’indicateur dans aucun modèle
économétrique.
Prévention ou répression. Légalisation ou prohibition
La politique préventive comme alternative, totale ou partielle, à la politique
répressive trouve son fondement dans le comportement du consommateur comme agent
économique individuel face à la criminalité, l’efficacité répressive des
autorités et son propre environnement familial. Au delà de la discussion sur le
droit qu’a l’Etat d’intervenir dans les décisions économiques des citoyens, y
compris en leur indiquant ce qui leur convient et ce qui ne leur convient pas,
le problème se pose en termes d’externalités: quel dommage social objectif peut
causer la décision rationnelle d’un individu de consommer des drogues et quel
doit être la politique la plus efficace pour le gérer. Si la question est
d’obtenir la plus grande efficacité, la politique doit commencer par distinguer
entre différents niveaux d’applicabilité
selon le type de drogues et concevoir un traitement sélectif pour chacune
d’elles en recherchant la minimisation du coût de leur application. Il est clair
par exemple que le traitement que l’on doit appliquer à la marijuana, dont la
culture et la consommation sont socialement et culturellement répandus, est très
différent de celui que l’on doit appliquer à la cocaïne, à l’héroïne ou aux
drogues artificielles.
Les comportements délictueux associés à la criminalité résultant du trafic de
drogues sont beaucoup plus rationnels face à des biens légaux (ou légalisés) que
face au contrôle des biens légaux à l’égard desquels opèrent certains contrôles
sociaux comme les campagnes éducatives ou d’abstention de la consommation pour
des lieux et des individus déterminés (Becker &
et al, 2005). Compte tenu du comportement
atypique d’un consommateur qui ne répond pas, du moins immédiatement, aux
augmentations de prix résultant d’une plus grande interdiction en diminuant sa
consommation, il paraît plus rentable de diriger les ressources publiques vers
les campagnes préventives que vers les campagnes répressives. Les politiques
alternatives face à l’interdiction paraissent économiquement justifiables
dans le cas de la destruction des cultures illicites, à l’élimination des
laboratoires de traitement industriel de cocaïne; en effet, l’éradication d’un
hectare semé de coca diminue les profits de la chaîne de 400 à 500 dollars
tandis que la destruction d’un laboratoire les diminue de 700 000 dollars.
D’autres estimations
(Kopp, 2003) montrent qu’une
réduction de 50% de la coca produite dans les Andes, affecte le prix de vente
final de la cocaïne de 3%. On peut obtenir de meilleurs résultats en termes
économiques, en consacrant le budget alloué aux aspersions aériennes sur les
cultures illicites à leur substitution sociale et à la destruction des
installations industrielles comme les laboratoires et les chaînes de précurseurs
chimiques. L’investissement dans la prévention est plus rentable que dans la
poursuite car la différence entre le coût de la matière première et le prix de
sa vente au détail, dix ou douze fois supérieur au prix que reçoit le
distributeur en gros, justifie n’importe quel effort que l’on fera dans le
domaine de la prévention de la consommation et de la substitution sociale des
cultures. Becker conclut que l’on peut obtenir de meilleurs résultats fiscaux en
compensant la possible réduction des prix résultant d’une politique de
dépénalisation par une plus forte imposition et la régulation de la consommation
comme on est en train de le faire avec un relatif succès avec l’alcool et le
tabac. Les clergés de Lima et de Cuzco le comprirent lorsqu’ils bénéficièrent de
10% des profits générés par la vente publique de la coca décrétée par
l’Ordonnance prise en 1573 par le Vice-roi Francisco de Toledo.
L’interdiction de la consommation d’alcool durant la guerre, approuvée en 1917
par le Congrès des Etats-Unis, devint ensuite permanente avec le 18ème
amendement de 1920; on vit dès lors que le marché clandestin de l’alcool se
comportait de manière atypique au regard des paramètres au moyen desquels on
réglementait le marché des biens légaux. La consommation d’alcool non seulement
ne diminua pas avec l’augmentation des prix résultant de la prohibition mais
elle augmenta, et ce, tout particulièrement chez les jeunes qui trouvèrent ainsi
la possibilité d’exprimer leur rébellion. L’histoire allait se répéter des
années après lorsque les Etats-Unis, pour palier les effets de la consommation
de marijuana pendant la guerre du Vietnam, rendirent son usage illégal et
ouvrirent la voie à l’émergence d’une culture contestataire qui connut son
apogée dans les années 60. Aujourd’hui, plus de 100 millions d’américains ont
essayé au moins une fois la marijuana. Indépendamment des considérations
politiques et morales qui échappent à la portée de ce travail, il est possible
de dire que le comportement de l’économie des drogues accrédite la nécessité de
penser à une nouvelle stratégie qui rendra plus efficaces les politiques
publiques liées à sa production, distribution et
consommation. Il est clair qu’un dollar dépensé dans le contrôle
coercitif de la production agricole des drogues produit, comme on l’a
précédemment indiqué, des résultats moindres qu’un dollar investi dans
l’interdiction de la distribution et que l’investissement d’argent dans la
limitation de la consommation, par le biais des contrôles policiers, s’avère
beaucoup moins efficace que celui que l’on dépense dans la prévention et
l’éducation. Le coût de la réduction de 1% de la consommation de cocaïne à
travers l’éducation des utilisateurs est de 34 dollars pour chacun d’eux contre
les 246 dollars que coûte la sanction du trafic et les 783 dollars qu’exige le
contrôle de l’offre via la destruction des cultures illicites
(Rydell
& Everingham, 1996).
Le passage subit d’une politique restrictive à une politique permissive qui
implique dans la pratique de remplacer les policiers par des médecins et des
professeurs n’est bien évidemment pas une tâche facile; l’histoire montre que
les différentes agences chargées de la lutte contre les drogues se concurrencent
ouvertement pour le budget qui leur est assigné et que cette concurrence a eu
bien souvent l’effet contreproductif d’annuler ou de diminuer l’efficacité de la
politique prohibitionniste. L’adoption de l’une ou l’autre politique dépendra de
la capacité qu’auront les acteurs du marché à internaliser les coûts des
dommages sociaux qu’eux-mêmes sont en train de créer
(Kopp, 2003). Si les “coupables” de la consommation et de la distribution
peuvent assumer les coûts infligés aux tierces parties, par exemple les paysans
qui vivent dans des régions de cultures illicites ou les jeunes incités à la
consommation, le statu quo du marché se maintiendra. Si, au contraire, les
transgressions des lois se font plus agressives et insoutenables, le changement
du schéma sera inévitable.
Ce document de discussion, présenté par CORPORACIÓN ESCENARIOS au Forum de
Biarritz 2011, vise à offrir un angle différent au débat difficile entamé autour
de l’éventuelle adoption d’une politique alternative face à l’échec reconnu de
la politique prohibitionniste comme réponse au problème des drogues depuis
presque un siècle. Il ne s’agit pas ici d’entrer dans le débat des arguments
éthiques, politiques ou médicaux brandis fréquemment pour s’opposer à ceux qui
souhaitent en finir avec la prohibition comme réponse. On souhaite simplement
conclure que, du point de vue strictement économique, l’actuelle
politique anti-drogues est également en train d’échouer.
Oooooooooooooooooo
REF. LIVRE DROGUES- ECONOMIE DES DROGUES
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