Colloque organisé par le GREITD, l’IRD

       et les Universités de Paris I (IEDES), Paris 8 et Paris 13

 

«Mondialisation économique et gouvernement des sociétés :

l’Amérique latine, un laboratoire ? »

Paris, 7-8 juin 2000

 

Session IV : Corruption , criminalisation des pouvoirs , et  illégalismes


Jean Rivelois. Chercheur IRD (Institut de recherche pour le développement, ex-ORSTOM)

 

Cuadro de texto:  DÉLINQUANCES, LIENS INTER-RÉGIONAUX ET INTÉGRATION COMMUNAUTAIRE

 

Résumé

 

            D'une manière générale, les nations modernes, comme fondement de relations internationales privilégiant la sécurité du territoire et la reconnaissance des gouvernements, sont progressivement remises en question sous l'effet de quatre principales pressions : 1) les pressions communautaristes, de type ethnico-racial (ghettos), socio-économique (gated communities) ou mafieux (territoires de non-droit), qui font traverser les territoires nationaux (urbains ou ruraux) par de multiples frontières invisibles marquant une forte ségrégation socio-spatiale et une réduction de l'espace public, à plus forte raison lorsque ces nouveaux territoires sont entre les mains de caciques locaux ou de seigneurs de guerre exerçant leur domination sociale par la menace ou l'exercice de la violence, 2) les pressions régionalistes basées sur la redéfinition des peuples dans un sens monoethnique ou monoreligieux et fondées sur un "nationalisme de région" valorisant "un peuple - une terre - une langue - une ethnie", 3) les pressions individualistes, véhiculées par certaines organisations internationales, les ONG et le pouvoir associatif, à travers le droit de l'environnement, l'ingérence humanitaire, la défense des droits de l'homme, la création d'une Cour pénale internationale ; c'est ainsi que, s'opposant souvent aux Etats, qui sont des organisations verticales hiérarchisées, de plus en plus d'organisations transnationales horizontales et fonctionnant en réseaux se mobilisent autour des problèmes de pollution, de droits de l'homme ou de corruption, et 4) la mondialisation des échanges et des trafics dans un cadre libéral, qui va de pair avec la constitution de blocs régionaux transnationaux ainsi qu’avec la réduction de la redistribution publique des richesses et la remise en cause du pouvoir économique des Etats.

            Confrontés à ces multiples pressions, les Etats contemporains ont tendance à déléguer à de nouveaux acteurs locaux la pacification des relations sociales. Comment des acteurs criminels vont-ils profiter de ce mouvement de retrait de l’Etat pour établir des connivences avec les pouvoirs locaux et régionaux et s’assurer le contrôle des populations ? Quelle en sera la conséquence en termes d’organisation sociale ? Telles sont les deux principales questions auxquelles ce texte tentera de répondre.

Mots clefs : acteurs criminels, délinquance sociale, mafias, politiques répressives, régions, communautarisme.

Jean Rivelois. Chercheur IRD (Institut de recherche pour le développement, ex-ORSTOM)

Cuadro de texto:  DÉLINQUANCES, LIENS INTER-RÉGIONAUX ET INTÉGRATION COMMUNAUTAIRE

 

            Il est frappant de constater que, sous l’effet de la dissuasion nucléaire, la plupart des conflits contemporains concernent de moins en moins des guerres entre Etats (conflits internationaux), mais sont de plus en plus provoqués soit par des tensions régionales intranationales, c'est-à-dire entre communautés (religieuses, ethniques) ou groupes criminels à l'intérieur d'un même Etat, soit par des tensions inter-régionales qui débordent les frontières nationales, par exemple dans le cas de conflits de type irrédentistes. En effet, si la multiplication des Etats a contribué à pacifier les relations internationales en mettant la plupart des nouveaux Etats sous la coupe de quelques Etats dominants, il faut également reconnaître qu’elle a favorisé à la fois un accroissement de la violence institutionnelle car la plupart de ces petites entités politiques cachent derrière un autoritarisme de façade une faiblesse à contrôler les différents groupes sociaux qui les composent et à administrer leurs différentes régions, ainsi que l’enracinement d’une violence criminelle se développant sur le terreau de la corruption de nombreux gouvernants nationaux ou régionaux. L’échelle régionale a donc tendance à devenir déterminante autant pour l’expression des revendications politiques séparatistes (porteuses, en germe, de la création de nouveaux Etats) que pour l’organisation des trafics opérée par de nombreux groupes criminels et qui se superposent aux premières. Pour ce qui concerne les acteurs criminels, on peut considérer que les grandes organisations de trafiquants de drogues, par exemple, jouent un rôle déterminant dans le domaine économique (Argentine, Mexique, Colombie, Italie, Espagne, Albanie, Birmanie), dans les conflits locaux et régionaux (Colombie, Turquie, Kosovo, Afghanistan, Asie centrale, Inde, Congo) ainsi que dans la criminalisation de certains Etats (Mexique, Turquie, Turquie, Pakistan, Birmanie, Nigeria). En effet, cette grande tendance contemporaine au morcellement du pouvoir et à la fragmentation des territoires implique que les rapports entre l'appareil étatique central et les sujets (individus, groupes sociaux d'opposition, communautés ethniques) se distendent de plus en plus, permettant aux groupes criminels et aux mafias d'apparaître comme de véritables acteurs socio-politiques ; dans certains cas, les conflits locaux aboutissent à une dissolution de l'Etat (Nigeria, Angola, Congo Brazzaville), à l'apparition d'Etats mafieux (Birmanie, Albanie) ou de régions mafieuses (Mexique, Colombie). Aux niveaux local et régional, il en résulte la superposition de différents niveaux d'autorité : étatique, traditionnelle, religieuse, mafieuse. A travers cet accaparement des territoires par d’anciens et de nouveaux acteurs, la délinquance contribue à la transformation des rapports sociaux (légitimité sociale de certains groupes criminels qui font du développement de substitution), des relations de pouvoir (connivences entre institutions et groupes criminels) et des formes de domination (prise en otage des populations locales par les groupes criminels). Finalement, l’augmentation des différentes formes de délinquance ne favoriserait-elle pas la diffusion d’un communautarisme social, et, dans ce cas, comment pourrait-on définir celui-ci ?

1) Les organisations criminelles

 

            Afin de ne pas céder aux tentations du complot et de l’amalgame, il est préalablement nécessaire de distinguer les différents types d’organisations criminelles qui s’insèrent dans les champs politique, économique et social.


            On trouve tout d’abord l'Etat mafieux qui sera caractérisé à partir de deux critères fondamentaux : 1) lorsque, suite à la conclusion d'un pacte, les acteurs de la marge pénètrent le centre du système politique, les acteurs politiques se trouvant alors dominés par les acteurs souterrains, et 2) lorsque les activités souterraines fournissent une grande partie des ressources de l'Etat ; on parlera de régions mafieuses lorsque ces deux critères sont transposables uniquement au niveau régional. Si les acteurs de la marge sont dépourvus d'ambitions politiques et ne contribuent qu'à l'enrichissement personnel de certains responsables politiques et économiques qui les protègent et les aident à valoriser leurs bénéfices, et si un secteur de l’appareil étatique est impliqué dans les trafics illégaux et en récupère une partie des bénéfices soit à des fins de socialisation, soit pour l’enrichissement personnel des responsables politiques ou administratifs, on aura affaire à un Etat à tendance mafieuse. Dans tous les cas, la mafia implique une connivence entre le politique et le souterrain, les acteurs souterrains cherchant à influencer les acteurs politiques et administratifs par la corruption, le chantage ou la violence. Au niveau de son organisation interne, la mafia est structurée d'une manière pyramidale chacune de ses ramifications étant plus ou moins cloisonnée qui lui permet de fédérer les différents groupes criminels (familiaux, claniques ou ethniques) qui la composent, de contribuer à la pacification de leurs relations et de décider de la répartition des activités illégales (les trafics) et des territoires entre ces groupes. On pourrait donc caractériser la mafia comme une instance


supra-locale qui se consacre au contrôle de routes (régionales, transrégionales ou transnationales) et à la coordination des groupes criminels locaux qui la composent. Mais la mafia est davantage qu'un super acteur criminel, davantage que la somme de ses parties ; elle est un acteur politique et économique. De plus, à travers son enracinement social, ses connexions internationales avec d'autres groupes criminels et ses liens avec les milieux politiques et économiques qu'elle a infiltrés, la mafia est en mesure de contrôler tout le processus de production illégale des richesses, c'est-à-dire, pour ce qui concerne la drogue, par exemple, la culture, la transformation, le trafic, les réseaux de distribution, le blanchiment, le recyclage et la répartition des bénéfices le problème de la répartition étant de savoir au profit de qui elle s'effectue. Lorsqu'il y a entente entre différentes mafias régionales ou nationales, on parlera de constitution de cartel.

            Les différents Etats clientélistes (paternaliste, bureaucratique, libéral ou mafieux) abritent donc ces acteurs criminels qui moduleront leurs stratégies de connivences avec les acteurs légaux en fonction du type d’Etat à l’intérieur duquel ils se situent. Le tableau de la page suivante montre les différents acteurs, légaux et illégaux, sur un plan statique, c’est-à-dire sans prendre en compte les interactions qu’ils sont amenés à nouer entre eux et sans les référer à l’Etat clientéliste particulier au sein duquel ils sont insérés.


INTERACTIONS MARGE-CENTRE DANS LA FORMATION DES ETATS CLIENTÉLISTES

 

 

 

 

 

 

 

LÉGAL

ETAT CLIENTÉLISTE (LE CENTRE)

PUBLIC (privatisé par la corruption)

PRIVÉ (collusion d'intérêts avec agents publics)

POLITIQUE

NATIONAL è  relations internationales

(pouvoir réel et/ou influence*)

INSTITUTIONNEL

NATIONAL, RÉGIONAL, LOCAL

(autorité administrative)

ÉCONOMIQUE

TRANSNATIONAL, NATIONAL, RÉGIONAL

(domination, influence)

SOCIO-POLITIQUE

LOCAL

(domination, solidarités)

 

Souveraineté, légitimité, intégration,

décision, hiérarchisation

 

par grands caciques politiques :

 

- membres du pouvoir exécutif

- représentants (pouvoir législatif)

- responsables des partis (et des groupes politiques) de gouvernement

- oligarchies politiques régionales

 

è  Violence symbolique

Contrôle social, intégration,

exécution, redistribution, répression

 

par responsables institutionnels de :

 

- police

- armée

- douanes, fisc

- justice

- services publics nationaux

 

è  Violence légitime

Hiérarchisation, redistribution,

accumulation, exploitation

 

par dirigeants (le patron) de :

 

- banques (spéculation)

      â   prêts  ;  á  profits

- entreprises (production) et commerces

- conseils d'administration (actionnaires)

- corporations patronales

- groupes de pression

- oligarchies économiques régionales

Contrôle social, socialisation, redistribution

 

par caciques locaux :

 

- famille (le père)

- notables (notaires, avocats, patrons de petites et moyennes entreprises, élus locaux...)

- serviteurs publics (le maître d'école)             ou maîtres spirituels (prêtre des  églises        instituées, gourou et patriarche des sectes)

- organisations militantes (partis, syndicats,     associations, ONG)

 

 

 

 

ILLÉGAL

ORGANISATIONS MARGINALES (connivences avec le centre)

Seigneur de guerre

(pouvoir autonome établi)

Chef de mafia : le parrain

(autorité informelle, influence)

Chef de clan

(domination, influence)

Chef de bande (gang) : le caïd

(domination, solidarités)

 Légitimité, intégration séparée, arbitraire

 

conquête du territoire

national ou régional

en période de guerre civile ou ethnique

 

par armée rebelle

â

- négation du centre

- utilisation de la terreur de type                fondamentaliste, nationaliste ou raciste

 

génocide, ethnocide

è Violence aveugle

Infiltration, hiérarchisation, accumulation

 

Contrôle d'une portion du territoire

International, national ou régional

 

par familles associées (les réseaux)

â

- légitimation des activités illégales

- légalisation des profits illicites

- pacification des rapports sociaux par administration déléguée du territoire (divisé) et des activités (partagées)

 

è  le contrat politique de corruption

è  Violence dissuasive (menace, chantage)

Hiérarchisation, redistribution, exploitation

 

contrôle d'une portion du territoire

transnational, régional ou métropolitain

 

par famille organisée (la grande criminalité)

â

la gestion des affaires souterraines "industrielles"     (trafic de drogue, de main-d'œuvre, d'armes, d'objets volés, prostitution, enlèvements, racket,

contrebande...)

 

è  corruption institutionnelle temporaire

è  Violence organisée ciblée

Socialisation, redistribution

 

contrôle d'une portion du territoire

local (rural ou urbain ou péri-urbain)

 

par petite délinquance

 

ê

 

les affaires souterraines "artisanales" ponctuelles (distribution de drogue, vols, racket...)

 

è  valorisation individuelle

è  Violence atomisée dispersée

* influence : pouvoir informel statutaire fondé sur des réseaux de relations dirigés par des maîtres de clientèles.


            Ainsi que le montre le tableau ci-avant, il est nécessaire de prendre en compte divers paramètres pour spécifier les interactions centre-marges : les différentes sphères d'origine de l'action (public/privé, formel/souterrain, légal/illégal) ; les différents domaines d'intervention sur le réel (politique, institutionnel, économique et socio-politique) ; les différentes échelles territoriales (local, métropolitain, régional, national et transnational). Trois modes paradigmatiques d'interactions en découlent :

1) la tolérance des marges, qui caractérise surtout certains Etats bureaucratiques et libéraux, et implique une répression sélective des marges illégales par le centre politico-institutionnel ; la tolérance établit une complémentarité fonctionnelle entre les marges et le centre, et s'opère à partir d'une division des fonctions légales et illégales, en même temps qu'à partir d'une distinction entre activités formelles et activités souterraines.

2) l'intégration des marges, qui consiste en une assimilation politique des marges par le centre ; elle caractérise également d'autres Etats bureaucratiques et libéraux ; l'intégration s'effectue à partir d'une perméabilité entre la marge et le centre, et sur la base d'une hiérarchisation des fonctions légales et illégales ainsi que des activités formelles et souterraines, les acteurs politiques contrôlant alors, directement ou par l'intermédiaire de chefs de clans criminels, les activités souterraines illégales.

3) l'infiltration du centre par les marges, qui caractérise les Etats paternalistes, les Etats à tendance mafieuse et les Etats mafieux ; elle se fonde sur une imbrication des marges et du centre, qui dénote une double confusion, d'une part entre les fonctions légales et illégales, et d'autre part entre les activités formelles et souterraines.

 

            Finalement, à travers les multiples interactions qui sont nouées, il devient possible de conclure qu’entre le public et le privé, il y a la marge, composée d’acteurs privés qui cultivent des connivences avec les acteurs publics pour la continuation ou le développement de leurs activités illégales. L’étude de ces interactions, spécifiques pour chaque pays, résultent d’un croisement entre une analyse territoriale  car les interactions centre-marges participent d’une recomposition des territoires  et une analyse socio-politique  car les interactions centre-marges contribuent également à la redéfinition du rapport des acteurs à la loi ainsi qu’au changement des rapports de pouvoir et de domination provoqué par la superposition des connivences entre acteurs légaux et illégaux aux traditionnelles collusions entre acteurs privés et publics. Il va s’agir à présent de cerner quelques unes des délinquances qui sont à la base de ces connivences afin de comprendre leurs effets de recomposition socio-spatiale ainsi que les formes de répression auxquelles elles sont confrontées.

 

2) Délinquance criminelle et délinquance sociale

 

            En apparence, la concurrence à la marge est régulée, non par la loi, mais par la menace ou l'exécution de la violence ; cependant, dans de nombreux cas, la proximité des acteurs de la marge avec ceux qui représentent la loi constitue un indéniable atout pour ce qui concerne l'exercice de leur domination et l'utilisation de leur influence afin de développer leurs trafics illégaux. Et, dans ce cas, même si leur rôle politique de pacificateurs des rapports sociaux semble évident, il n'en demeure pas moins que leur fonction économique d'investisseurs d'une partie de leurs profits illégaux  soit par la corruption des acteurs légaux, soit par l'extorsion que ces derniers opèrent au détriment des acteurs de la marge, soit directement par le processus de blanchiment-recyclage  est également essentielle. Il faudra donc analyser au cas par cas les rapports de force puisque la division apparente entre le légal et l'illégal s'opère à l'intérieur d'un système clientéliste qui tolère certaines connivences entre acteurs légaux et illégaux. Dans les cas extrêmes, on peut même imaginer que les acteurs illégaux participent à la formation du pouvoir légal lorsque, par exemple, certains acteurs du centre deviennent dominants en mobilisant en leur faveur une force illégale avec laquelle ils sont associés, en échange de leur protection aux acteurs de la marge qui la représentent. On considérera donc comme des acteurs supérieurs ceux qui concentrent pouvoir, domination et influence.

            Schématiquement, on peut distinguer cinq principales entrées des acteurs criminels à l'intérieur de la sphère légale ou des acteurs centraux à l'intérieur de la sphère illégale, qui permettent aux acteurs de la marge d'asseoir ou de légitimer leur domination : la délinquance spirituelle, la délinquance patronale, la délinquance financière, la délinquance criminelle et la délinquance sociale. Seront ici développées les deux dernières.

 

a) La délinquance criminelle

            Si l'on prend comme exemple le cas français, on s'aperçoit que, depuis 1960, délinquance et criminalité ont énormément augmenté, mais il ne s'agit pas d'un phénomène produit par la crise puisque cette croissance s'est opérée autant durant la période de prospérité (1945-1975) que pendant les restructurations industrielles (depuis la fin des années 1970) ; depuis une dizaine d'années, l'amplitude du phénomène s'est cependant stabilisée au plus haut niveau depuis la dernière guerre, avec des oscillations périodiques. Si l'attrait du gain est une motivation qui peut apparaître autant en période d'abondance qu'au cours des cycles d'austérité et d'augmentation du chômage, cela tend à prouver que la délinquance criminelle relève davantage de la permanence du clientélisme d'Etat que de la conjoncture économique. Ce qui change, c'est le mode d'expression de cette délinquance criminelle ; en effet, l'ancienne génération de malfrats, qui obéissait à certaines règles et entretenait des rapports ambigüs avec les forces de l'ordre, a tendance a être supplantée par une nouvelle, davantage imprévisible, usant parfois d'une violence extrême et recrutant de plus en plus des hommes de main inexpérimentés. Ce qui constitue une constante, c'est que la délinquance criminelle concerne prioritairement les premières ou deuxièmes générations de groupes ethniques émigrés qui s'en servent comme d'un instrument d'ascension sociale. Les trafiquants de drogue appartiennent à cette catégorie de criminels, le problème étant de savoir si ceux qui profitent de leurs activités (hommes politiques, banquiers, policiers et juges corrompus, industriels et promoteurs immobiliers) peuvent être classés dans la même catégorie. Enfin, concernant les moyens utilisés par cette forme de délinquance, il faut noter que la violence criminelle est en augmentation dans un environnement de « culture des armes à feu » qui lui est propice ; c'est ce qui explique que les Etats-Unis détiennent le taux de décès par armes à feu le plus élevé du monde industrialisé[1], le commerce de ces armes étant lié à l'influence que déploie le groupe de pression de la National Rifle Association (NRA) au Congrès américain.

            La mafia apparaît comme la plus importante des organisations criminelles ; elle est établie sur des bases communautaires (familles, clans, liens du sang) régionales ou nationales et se caractérise par la protection dont elle bénéficie de la part des autorités politiques et institutionnelles ; elle implique donc l'établissement de connivences entre pouvoir politique et pouvoir criminel dans le but de constituer une rente financière illégale (partagée entre acteurs du centre et de la marge) et de parvenir à la pacification des rapports sociaux par la régulation des acteurs criminels locaux et l'intégration des marges sociales (à travers un système de domination de type clientéliste paternaliste). Parce que la mafia bénéficie d'arrangements grâce auxquels elle est autorisée à transgresser les lois, elle se développera prioritairement au sein de systèmes politiques autorisant l'infiltration ou l'intégration des marges[2]. De nombreuses mafias se sont constituées à partir de groupes d'immigrés fuyant la persécution ou la pauvreté, mais exclus des activités licites dans leur pays d'accueil, et qui ont reconstitué, sur cette terre étrangère, les codes et hiérarchies de type patriarcaux, tribaux ou claniques de leurs sociétés d'origine ; de ce point de vue, la lutte contre le crime organisé revient à substituer la loi républicaine et la morale dominante aux normes culturelles fondées sur la loi du silence (l'omerta), la loi du sang et la loi du talion. La mafia peut donc apparaître comme une structure de transition entre un Etat paternaliste de type clanique et rural où prédomine la loi du sang et un Etat bureaucratique privilégiant la loi du plus fort pour le contrôle des territoires urbains ; elle s'adapte à l'Etat libéral de libre entreprise et de déréglementation pour la conquête du marché mondial. La mafia non seulement exporte ses marchandises illicites, mais également s'exporte elle-même (de l'extérieur, c'est-à-dire des pays d'accueil, vers les pays d'origine des communautés, ou de l'origine vers l'extérieur), infiltre les diasporas et les gouvernements locaux : telle est la fonction politico-économique d'intégration sociale par le crime à partir de laquelle s'exerce le paternalisme des mafias (la solidarité dans la violence). Mafias et diasporas se constituent toutes deux à partir de l'immigration ; elles sont deux instruments pour que se reconstituent les élites (politiques et économiques) sur une terre étrangère. Mais, alors que les diasporas se forment dans le cadre de la légalité (formelle ou informelle) et résultent d'une intégration acceptée de la part des nationaux comme des migrants , la mafia se construit contre le système légal du pays d'accueil ; de ce point de vue, la mafia utilise les instruments de la guerre, non pour conquérir le pays d'accueil, mais pour reconstruire une parcelle du pays d'origine sur le territoire du pays d'accueil, en s'appropriant, par l'exercice d'une domination forcée ou consentie, les populations immigrées provenant du même pays d'origine. C'est ainsi que les réfugiés alimentent, par leur ressentiment ou en cédant au racket de leurs compatriotes, les mouvements contre-révolutionnaires (Cubains de Miami, Vietnamiens et Cambodgiens de Paris, Chinois de New-York ou de Taïwan...) et les diasporas qui les utilisent comme main-d'œuvre bon marché ; mais ils sont également soit une proie pour les armées en guerre qui les prennent en otage afin de forcer la communauté internationale à agir (Bosnie, Rwanda, Burundi, Irak...) ou dans le but d'affaiblir leurs adversaires en les privant de base sociale (Colombie), soit une source de revenus faciles pour les mafias criminelles qui assurent leur passage dans les pays étrangers (Mexicains illégaux candidats à l'entrée aux Etats-Unis, Kurdes d'Irak et albanais bloqués à la frontière italo-française). Dans les pays d'accueil, confrontés également à un fort taux de chômage, on identifie, indistinctement, l'immigré économique, le réfugié politique, la mafia transnationale (contrôlant le racket inter-communautaire, la prostitution transfrontalière, le trafic d'immigrés, le trafic de drogue, les jeux clandestins, la contrebande de cigarettes) et la petite délinquance socio-économique (passeurs et distributeurs de drogue, mais également passeurs de capitaux illégaux qui sont divisés pour être rapatriés vers les pays d'origine afin de déjouer les limitations imposées par les banques pour lutter contre le blanchiment) sans distinguer les maîtres de clientèle, le plus souvent bien intégrés, et tous les immigrés qui ne sont pas parvenus à une véritable intégration socio-professionnelle dans le pays d'accueil. Les mafias elles-mêmes utilisent les réseaux qu'elles ont développés pour leurs trafics traditionnels (trafic de prostituées, de tabac, d'armes, de drogues) afin de diversifier leurs activités dans le trafic d'immigrés clandestins ; elles pourront donc utiliser ces derniers comme source de profits supplémentaires, comme passeurs de drogue en paiement du voyage, comme moyen d'infiltration de criminels professionnels dans les pays destinataires du trafic (le cas des marocains aux Pays-Bas, en Italie, en France). De ce fait, le trafic d'immigrés suit les mêmes routes que le trafic de drogues, et les mafias prennent de plus en plus souvent en charge les clandestins depuis le pays d'origine jusqu'au pays de destination. Les différents pays de destination expulsent et se renvoient mutuellement ces réfugiés sans leur accorder ni l'accueil, ni les droits auxquels ils devraient bénéficier du fait de leur situation ; bien évidemment, ces expulsions alimentent le trafic et son coût, sans décourager le flot de réfugiés qui n'on plus rien à perdre et se rattachent à la moindre parcelle d'espoir. Donc, après avoir souffert de la pauvreté et de la guerre qui les ont forcés à se déraciner de leurs territoires et à se couper de leurs familles, et avant d'être contraints à vivre dans l'illégalité (asservis et sans droits sociaux, sous la menace permanente de l'expulsion), l'exclusion et le racisme dans les pays d'accueil, les immigrés sont l'objet d'un trafic de la part des mafias qui se chargent de leur transport clandestin. Tel est le seul lien que l'on peut établir entre mafias et immigration, un lien d'origine économique dont sont victimes les immigrés eux-mêmes, mais qui ne constitue qu'une partie non négligeable de l'influence géopolitique que les grandes mafias (comme les grandes puissances) exercent à travers la constitution de réseaux transnationaux.

            Le contrôle des mafias constitue l'enjeu principal qui justifie les connivences entre le centre et la marge des systèmes politiques. Le champ d'action de la plupart des mafias débordant les frontières nationales  alors que la plupart des institutions (police, justice, douanes) et des gouvernements nationaux sont soit désemparés, soit complices de leurs marges criminelles organisées , la répression traditionnelle sur des bases purement nationales s'avère aléatoire[3]. Le contrôle des mafias s'intègre donc dans le jeu des relations internationales, les grandes puissances destinataires des trafics faisant pression sur les petites ou moyennes puissances pour qu'elles activent leurs institutions répressives. Cette pression peut s'exercer soit directement, par une aide (financière, en armements ou/et en moyens humains comme l'envoi d'instructeurs ou de troupes) apportée aux gouvernements amis, soit indirectement, à travers un chantage économico-commercial, ou par des actions destinées à déstabiliser les gouvernements complices de leurs mafias, par exemple en finançant certains partis d'opposition ou certains groupes influents (entrepreneurs, associations locales de droits de l'homme, rébellions...). Dans tous les cas, ces pressions, commerciales ou politiques, devront se conformer aux règles de la diplomatie en respectant le principe de souveraineté nationale, ou du moins en ne l'écornant pas trop, ce qui impose de disposer de relais locaux. C'est pourquoi la souveraineté nationale a tendance, dans la réalité des relations internationales, à se transformer en souveraineté limitée. Ces relais peuvent être soit les gouvernements amis et certaines de leurs institutions, ce qui explique que, dans certains cas, comme au Mexique, la répression soit sélective les gouvernements locaux ayant tendance à protéger les groupes criminels auxquels ils sont associés , soit les groupes criminels eux-mêmes dont certains seront utilisés pour faire tomber leurs concurrents ; dans ce dernier cas, les connivences établies, souvent à partir des services de renseignements, deviennent donc un instrument de la répression elle-même et les grandes puissances se retrouvent protectrices de certaines mafias internationales, comme ce fut le cas lors de la célèbre affaire de l’Irangate[4]. Lorsqu'on parle de « guerre contre la drogue », même s'il ne s'agit pas d'une guerre d'un Etat contre un autre, cela implique nécessairement que les nations du Nord, s'estimant agressées par les mafias du Sud, vont appliquer une politique d'ingérence dans les affaires intérieures des Etats d'où sont originaires ces mafias parce que ces dernières se servent de leurs Etats d'origine comme sanctuaires. Cette justification de la guerre, comme (auto)défense contre une agression, constitue le fondement de « la guerre juste »[5] que les Etats du Nord entreprennent contre les mafias et certains Etats du Sud. Mais les moyens employés par les services chargés de mener cette guerre, basés sur certaines compromissions, connivences et entorses au droit, apparentent plutôt cette guerre à un exercice "réaliste" fondé sur la théorie de Hobbes selon laquelle la guerre étant la continuation du politique et le politique n'ayant rien avoir avec la morale, il ne saurait y avoir ni de guerre juste, ni de droit appliqué à la guerre. Et ceci vaudrait autant pour les relations ami-ennemi que pour les relations loyal-déloyal.

            Dans les faits, les interventions armées directes sont rares, même si le contrôle des mafias est devenu une spécialité des Etats-Unis qui ont ainsi justifié (en agrémentant le discours d'intentions pro-démocratiques) les invasions de la Grenade, de Panama et de Saint-Domingue ; dans la plupart des cas, il s'agissait de remplacer des mafias hostiles par des mafias alliées. Les Etats-Unis disposent d'un dispositif dénommé certification, actualisé chaque année, pour punir ou récompenser les pays qui luttent efficacement contre le trafic de drogue ; c'est ainsi qu'en 1998, les pays ennemis désignés étaient la Colombie, le Paraguay, le Cambodge, le Pakistan (décertifiés, mais bénéficiant, au nom de l'« intérêt national » américain d'une exemption de sanctions financières), l'Afghanistan, la Birmanie, l'Iran et le Nigeria se retrouvant décertifiés et sanctionnés[6] ; il est bien évident que cette liste est établie en fonction d'intérêts strictement diplomatiques et géopolitiques, ce qui explique que soient ménagés des pays qui, comme le Mexique ou la Chine, revêtent un intérêt stratégique (commercial et militaire) évident et dont il s'agit d'occulter le caractère corrompu et autoritaire des gouvernements afin d'éviter une infiltration des mafias à la tête de l'Etat ; inversement, c’est pour la même raison qu’il aura fallu attendre 1999 pour que Téhéran disparaisse de la liste noire des pays “décertifiés” par Washington alors que l’Iran était fortement engagé depuis des années contre le trafic de drogues. A travers l'appréciation, en termes loyal-déloyal, de ces critères de sélection des pays ennemis, on s'aperçoit que les pays retenus ne sont pas les pays pivots du trafic, mais des pays producteurs dont le rayonnement mafieux est limité ou n'est rendu dangereux que par d'autres relais. Pour ce qui concerne les grandes puissances régionales (Mexique, Turquie, Thaïlande, Afrique du Sud) qui sont caractérisées par une tolérance ou une intégration des marges et par lesquelles transitent le gros du trafic, ce sont les impératifs de la realpolitik (en matière économique et commerciale ou géopolitique) qui sont appliqués par les grandes puissances mondiales. De la même manière que, dans la dialectique ami-ennemi, les droits de l'homme sont rarement un critère déterminant des relations internationales, dans la dialectique loyal-déloyal, la protection des mafias et les connivences institutionalisées entre centre et marges ne constituent pas un critère rédhibitoire aux bonnes relations entre les Etats. Certaines grandes puissances elles-mêmes comme la Russie ont ouvertement intégré leurs mafias comme acteur économique ou instrument de pression politique. Dans la plupart des grandes puissances mondiales, la tolérance de la mise en servitude, à travers la prostitution et le travail clandestin, constituent les deux principales portes d'entrée aux autres trafics illégaux contrôlés d'ailleurs le plus souvent par les mêmes organisations criminelles transnationales qui approvisionnent le marché en prostituées et en immigrés clandestins ; mais les donneurs d'ordre, la plupart du temps indicateurs de police, sont rarement ou très sélectivement inquiétés. A l'intérieur des puissances intermédiaires (les grandes puissances régionales) comme des grandes puissances mondiales, on assiste donc de plus en plus à une "singapourisation" de la lutte anti-drogues, c'est-à-dire à une répression sévère contre les consommateurs qui cache un laisser-faire en matière de trafic international et de blanchiment. De plus, la nouvelle diplomatie commerciale développée par les grandes puissances mondiales tend à reléguer au second plan la lutte contre la grande criminalité organisée ou institutionnalisée car les groupes de pression des multinationales (notamment pétrolières) ont tendance à privilégier leurs intérêts propres au détriment de mesures répressives contre les gouvernants qui protègent la productrion de drogue à grande échelle ou l'organisation du trafic international (cf. les cas de la Colombie, de la Turquie, du Nigeria et de la Birmanie).

            Enfin, la lutte contre les mafias et les organisations criminelles bute sur le problème du blanchiment à travers le système financier international ; en effet, le blanchiment constitue une porte ouverte à toutes les compromissions, permet de jeter un pont entre collusions et connivences et de transformer les deux dialectiques en une nouvelle : la dialectique ami-déloyal. Comme pour le trafic qui part du local pour aboutir au transnational, une partie de l'argent sale est blanchie localement tandis qu’une autre aboutit sur les places financières internationales à partir desquelles elle est recyclée dans la masse des capitaux spéculatifs ; et comme pour la corruption institutionnelle, ces capitaux utilisent la médiation des paradis fiscaux afin de complexifier les réseaux du blanchiment-recyclage et de déjouer la surveillance des organismes de contrôle ; pour cela, les trafiquants utilisent le procédé de fractionnement des opérations afin d'éviter d'atteindre les seuils de déclaration obligatoire, ainsi que le recours à des prestataires de services professionnels comme les comptables, les avocats et les agents de création de sociétés qui dirigent les capitaux à blanchir vers des secteurs (l'assurance, par exemple) ou des régions moins surveillées. Selon le GAFI[7], différentes régions du monde sont principalement concernées par les mécanismes de blanchiment des bénéfices de la drogue, parmi lesquelles : 1) l'Asie du Sud dans la région Asie-Pacifique qui est un des espaces essentiels du blanchiment, accueillant plusieurs grandes banques internationales, en plus d'être un lieu de transbordement pour l'héroïne et le haschisch produits en Afghanistan et en Iran (l'ouest de la zone) ainsi qu'en Birmanie, en Thaïlande et au Laos (l'est de cette région) ; 2) l'Europe occidentale où l'on assiste à un gonflement de la demande de cocaïne qui se traduit par une augmentation du volume des fonds devant être blanchis et, pour se faire, par la formation de nouvelles alliances entre les groupes colombiens et russes, ces derniers étant chargés de recycler l'argent sale, par l'intermédiaire des banques russes qu'ils contrôlent, sur les places financières britannique, autrichienne, suisse ; 3) l'Europe centrale et orientale où les revenus illégaux sont blanchis à travers la fraude aux contrats et les privatisations, sur la base de collusions entre institutions financières et crime organisé (cas de la Russie).

 

b) La délinquance sociale

            Il s'agit de la délinquance la plus visible car elle est liée à l'expression d'une violence urbaine quotidienne (agressions, vols, dégradation des écoles et des immeubles, affrontements entre bandes, racket...). La focalisation sur la délinquance sociale résulte du privilège accordé à la seule sécurité physique, idéologiquement séparée de la sécurité salariale, sociale, médicale ou éducative. La délinquance se manifeste par l'apparition de "zones de non-droit" et la constitution de bandes pouvant semer la terreur dans certains quartiers ou organiser des révoltes contre les symboles, les institutions ou les représentants de l'Etat (services publics, policiers, professeurs, commerçants et tout ce qui touche à la propriété légale). Les révoltes se concentrent dans les plus grandes agglomérations[8], là où l'anonymat va de pair avec la déstructuration du tissu social, la ségrégation  dont sont victimes les habitants de certaines périphéries urbaines  et l'absence d'une véritable insertion professionnelle à cause du chômage et de la précarisation des existences. Les manifestations de révolte contre l'ordre dominant peuvent être provoquées par diverses causes dérivées comme, par exemple, un abus de pouvoir policier, des luttes territoriales entre bandes rivales, le règlement d'une vengeance lié à l'application d'un code de l'honneur, le non-paiement d'une dette contractée à l'occasion d'un commerce illégal (drogue, véhicules volés). L'Etat ayant tendance à se désengager des zones de non-droit, cette délinquance peut être perçue comme légitime soit politiquement (« il faut lutter contre l'Etat qui est à la source de tous nos problèmes »), soit économiquement (« il faut bien trouver les moyens de vivre »), soit moralement (« les riches le font bien en toute impunité »). Parce qu'elle remet en question l'autorité de l'Etat, cette délinquance peut également être interprétée comme un signe de démocratie à travers lequel une partie de la base sociale s'insurge contre le chômage et l'emploi précaire.

            Par ailleurs, la délinquance sociale engendre des réactions sécuritaires favorisant la constitution de milices ou l'émergence de partis d'extrême droite ; les gouvernements et les partis politiques ont tendance à encourager ces réactions sécuritaires dans un but électoral, c'est-à-dire afin de combler leur déficit de légitimité et leur impuissance à assurer un emploi pour tous. Dans certains pays du Nord (et notamment aux Etats-Unis et en Grande -Bretagne), on assiste de plus en plus à une concomitance entre libéralisation de l'économie et pénalisation de la précarité qui aboutit à une répression accrue de la petite et moyenne délinquance[9] ; à travers la criminalisation de la délinquance sociale, on assiste donc à un retour de la criminalisation de la pauvreté. De plus, liée à la délinquance sociale et à la ségrégation spatiale des quartiers défavorisés, on voit se former un nombre croissant d'identités séparées urbaines dont certaines sont révélatrices de l'existence d'un processus d'ethnicisation des relations socio-spatiales ; il en résulte une plus grande homogénéisation sociale et ethnique des quartiers en difficulté, les habitants des autres origines ethniques minoritaires localement ayant tendance à quitter ces quartiers afin de ne plus subir les agressions et la violence dont ils sont victimes de la part des délinquants issus des groupes ethniques majoritaires. C'est ainsi que ces zones urbaines, qui étaient déjà touchées par l'absence de mixité sociale, peuvent, en plus, être confrontées à une diminution du métissage ethnique et s'éloigner davantage du modèle d'intégration républicaine qui avait déjà échoué sur les plans social (absence d'intégration par l'école) et économique (absence d'intégration par le travail).

            Face aux carences ou à l'inadaptation des services publics éducatifs dans des zones déjà touchées par l'exclusion professionnelle, la décomposition du tissu familial (perte d'autorité du père) et la mutation des valeurs de socialisation (la loi du plus fort se substituant à la promotion individuelle par le mérite alors que la compétition affairiste et la violence brutale remplacent la tolérance des différences), l'incivisme[10] et la délinquance juvénile ont tendance à s'accroître rapidement. De nouvelles formes de délinquance, qui aboutissent à la constitution de bandes comme substitut de la famille traditionnelle, sont apparues dans certains quartiers urbains à la faveur de la crise économique du début des années 1980, débouchant sur une véritable « culture de rue », construite autour d'un « patriotisme de cité » opposé à toutes les institutions[11]. La délinquance est souvent liée à la consommation de drogues ; mais de multiples stratégies sont utilisées par les consommateurs pour se procurer les moyens financiers de satisfaire leurs besoins : l'usager commence généralement par adopter le système de "la débrouille" (vente d'objets personnels, demande d'argent à l'entourage, emprunt, mendicité) avant de se lancer dans des pratiques délinquantes plus agressives, plus risquées et souvent illégales (utilisation des cartes de crédit et des chéquiers des proches, vol des proches et de la famille, vol à la tire, vol à l'étalage, prostitution...)[12].

            Cette forme de délinquance est souvent liée au développement d'une économie parallèle souterraine fondée sur le trafic organisé de produits stupéfiants. Ce trafic peut même devenir, comme l'islamisme militant, un facteur de stabilité sociale, et déboucher sur la mise en place d'un autre ordre, de type paternaliste mafieux, se subsituant à l'ancien ordre républicain. Le développement des trafics illégaux tend à rendre floue la frontière entre délinquance criminelle et délinquance sociale. En effet, à travers l'organisation de trafics illégaux et, notamment, la distribution de drogue, les trafiquants marginaux indépendants sont en concurrence avec des bandes plus puissantes qui relèvent de la criminalité organisée et disposent de moyens importants pour se protéger de la répression en utilisant la corruption, la compromission (échange d'une impunité temporaire contre des informations, fournies aux forces de l'ordre, concernant les groupes rivaux), la violence ou la ruse. C'est également au cours de cette phase que le délinquant marginal risque soit de subir la violence des bandes organisées (qui n'hésiteront pas à le dénoncer aux autorités), soit d'être absorbé par celles-ci et de passer de la délinquance sociale à la délinquance criminelle.

 

            D'une manière générale, les différentes formes de délinquance (patronale, financière, criminelle ou sociale) ont tendance à entamer le « capital social »[13] en remettant en question les règles admises de confiance et de solidarité. La fragmentation sociale qui en résulte a ainsi des effets néfastes sur les possibilités pour les membres d'une communauté de se regrouper. En outre, le développement du crime et de la violence ébranlent la légitimité de l'Etat car, lorsque les citoyens se sentent impuissants ou doivent s'adresser à des agences privées de sécurité pour assurer leur protection, l'Etat apparaît de plus en plus comme inefficace. La légitimité de l'Etat et la restauration du pouvoir gouvernemental impliqueront donc l'application d'une politique des sanctions (dissuasion ou répression en fonction des groupes marginaux ciblés). Ainsi, par exemple, en France, si les actes relatifs à la délinquance criminelle sont bien élucidés par la police (90 % d'homicides résolus en 1997), il n'en est pas de même des deux autres formes de violence, sociale et financière (seulement 15 % de cambriolages élucidés pour la même année) ; ces dernières sont en augmentation et, parce qu'elles ne relèvent pas du même traitement répressif, restent le plus souvent impunies et ont donc tendance à se banaliser.

            Tandis que, dans les pays du Nord, le désengagement de l'Etat a consisté à sous-traiter la répression de la délinquance sociale aux polices municipales et aux entreprises privées de sécurité[14], dans de nombreux Etats du Sud, l'Etat s'est trouvé dépassé par la délinquance criminelle organisée et a été contraint soit de déléguer la sécurité publique à l'armée, à des milices ou à des groupes paramilitaires, soit de la privatiser de fait en tolérant la corruption des forces de police qui se font payer leurs services directement par les populations. Dans tous les cas, il en a résulté une stagnation vers le haut de la violence sociale. En abandonnant son monopole de la violence légitime, l'Etat contemporain renoue avec l'Etat clientéliste paternaliste ou mafieux puisque, en théorie, c'est le fondement même de l'Etat d'assurer le monopole de la violence légale ; en effet, les citoyens, en déléguant à l'Etat l'exercice contrôlé (par des procédures démocratiques) de la violence, se donnent ainsi la garantie de la paix civile. Quant à l'incivisme, seule une citoyenneté inter-personnelle active semble pouvoir le diminuer, mais à condition qu'existe une intégration familiale et sociale (par l'école, le travail, les loisirs, la participation à la vie associative et politique) sans laquelle aucune citoyenneté politique ne semble possible. La seule alternative à l'intégration est le renforcement d'une répression tous azimuts comme c'est le cas en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis (la stratégie de la tolérance zéro, c'est-à-dire la répression accrue des délits mineurs et des simples infractions, associée à la création d'associations de quartiers, voire d'immeubles, le ciblage des populations et des territoires considérés "à risques", le couvre-feu, l'appel à la dénonciation de la violence des jeunes, c'est-à-dire des jeunes immigrés habitant les quartiers défavorisés, la focalisation sur les petits trafiquants de drogue, l'incarcération des jeunes multirécidivistes, l'assimilation entre délinquance criminelle et délinquance juvénile, l'alourdissement des peines, la déréglementation pénitentiaire...). Ainsi, aux Etats-Unis, les ghettos se caractérisent par une concentration spatiale de la violence, inégalée en Europe ; la loi anti-criminalité américaine, votée en 1994, a débouché sur l'embauche de milliers de policiers supplémentaires ; elle a imposé aux juges d'attribuer des peines incompressibles pour les délits de toxicomanie et l'emprisonnement à perpétuité à la suite d'une double récidive ; enfin, elle a favorisé l'extension de la peine de mort. Les résultats en sont que cinq millions d'individus se trouvent soit derrière les barreaux, soit en liberté surveillée et que le taux d'incarcération a quadruplé entre 1970 et 1995[15] ; par ailleurs, le harcellement préventif et ininterrompu des délinquants a engendré une recrudescence des bavures policières et un usage excessif de la force à l'égard des jeunes et des minorités ethniques qui se retrouvent définitivement exclus par le système répressif. En fait, le système répressif (police, justice, administration pénitentiaire) reflète le système discriminatoire dominant puisque les Afro-Américains, bien que ne représentant que 12 % de la population des Etats-Unis, sont majoritaires au sein des établissements pénitentiaires ; de la même manière, alors qu'ils ne représentent que 13 % des consommateurs de drogue, ils forment un tiers des personnes arrêtées et les trois quarts des personnes emprisonnées pour infraction à la législation sur les stupéfiants. D'une manière plus générale, la répression aux Etats-Unis est de plus en plus focalisée sur les affaires de drogue puisque, en 1995, six nouveaux condamnés sur dix étaient emprisonnés pour détention ou commerce de stupéfiants[16]. De tels effets pervers sont certes dans la logique de tension liée au système discriminatoire ou communautariste américain, mais le fait qu'ils soient acceptés par la majorité de la population est également révélateur d'une déficience de citoyenneté politique. Dans les pays du Nord partagés entre la tentation du tout-répressif et l'angélisme du tout-social, on assiste ainsi au passage progressif de l'Etat-providence (système assistantiel basé sur la solidarité et l'intégration par l'emploi) à l'Etat sécuritaire (Europe) ou à l'Etat carcéral (Etats-Unis).

            Les politiques de répression ont tendance à gagner les Etats du Sud et à devenir un élément de la conditionnalité de l'aide attribuée par les pays du Nord. Et, comme dans les pays du Nord, elle touche principalement les petits trafiquants ou les consommateurs en bout de chaîne qui sont les plus visibles et donc, les plus vulnérables ; mais, dans les pays du Sud, elle concerne également les petits paysans producteurs de drogue parce qu'ils sont aussi très exposés. La répression est donc très sélective de part et d'autre de la ligne de front ; elle reflète aussi les inégalités sociales et sert de révélateur de l'état des systèmes politiques et judiciaire. De ce point de vue, le cas de l'Equateur est révélateur. Dans ce pays, sous la pression des Etats-Unis, les autorités ont mis en œuvre une politique de lutte acharnée contre le trafic de drogue et, comme la DEA verse des primes à la police équatorienne pour toute arrestation liée aux infractions sur les stupéfiants, cette dernière réprime avec beaucoup de zèle, en utilisant systématiquement la torture pour arracher des aveux et en effectuant d'innombrables détentions arbitraires. Dans la prison de Guayaquil, 80 % des prisonniers sont détenus pour des motifs liés à la drogue et 84 % d'entre eux sont maintenus en prison sans jugement[17] ; en effet, la corruption des juges est notoire et ils utilisent l'incarcération pour extorquer de l'argent aux détenus, forcés de payer pour se voir reconnus innocents. En juillet 1997, la sous-secrétaire d'Etat aux affaires sociales déclarait elle-même que « 60 % des personnes détenues sont innocentes et que 80 % d'entre elles ont été arrêtées illégalement »[18].

            Les passerelles entre les différentes niveaux de violence et de délinquance existent également à un niveau géopolitique ainsi que l'ont montré l'Irangate et l'exemple du Pakistan  où, à partir de 1983, l'argent de la drogue aurait servi à financer les groupes musulmans fondamentalistes afin de déstabiliser l'Inde, avec la bénédiction des Etats-Unis , de l'Afghanistan, de la Turquie, de la Birmanie... Dans de nombreux cas, les relations internationales tolèrent que la violence criminelle d'Etat (souvent perpétrée par les services secrets) protège la violence mafieuse pour servir des géostratégies d'alliances liées aux nécessités de la réalpolitik. Il en est de même pour ce qui concerne les politiques économiques d'ajustement structurel qui, dans certains pays, ont débouché sur une augmentation tolérée de la criminalité[19]. Si on prend l'exemple de la République tchèque, il est clair que les réformes entreprises à partir de 1991 (consistant à privatiser les industries d'Etat, à libéraliser les prix et le commerce ainsi qu'à maintenir les grands équilibres macroéconomiques) ont occulté les enjeux juridiques et civiques ; un système ouvert à la corruption s'est alors imposé comme une nécessaire étape de l'accession au progrès et à l'accroissement des richesses. Ce système a été toléré alors qu'il gangrenait toute l'administration et les centres de décision, provoquant la chute du gouvernement Klaus en décembre 1997. Tel fut le cas de la plupart des économies libéralisées à grande vitesse, dont les marchés boursiers étaient dépourvus de transparence, d'instruments de surveillance sur les banques ou les fonds d'investissement, de dispositifs de contrôle de la légalité par l'administration ou les élus d'opposition, ce qui a conduit ces économies à banaliser, lors des privatisations, les fraudes et les malversations perpétrées par les nouvelles élites, au plus haut niveau de l'appareil économique et politique ainsi qu’à favoriser la pénétration des mafias à l’intérieur des systèmes économiques régionaux et nationaux.

            La tolérance des petites transgressions quotidiennes permet que s'exprime une agressivité latente et que soit ainsi diminuée la violence réelle. Par contre, la tolérance de la grande délinquance financière légitime les actes liés à la grande criminalité organisée. Cependant, comme cette délinquance financière contribue à la déstructuration des économies (cf. le cas de la Russie), il est à prévoir que la mondialisation de l'économie va déboucher sur une plus grande coopération internationale policière et judiciaire qui constituera une forme d'empiétement de la souveraineté nationale mais qui s'avère nécessaire pour lutter contre la mondialisation du crime dans les domaines de la criminalité informatique  qui débouche sur le blanchiment d'argent , de la propagation de la pédophilie ou de la prostitution, du trafic de drogue, du piratage commercial, de la fraude bancaire ou de l'interception de communications relevant de la sécurité nationale.

 

 

CONCLUSION : VERS UN NOUVEAU DROIT PÉNAL ENTRE COMMUNAUTARISATION ET CRIMINALITÉ

 

            Dans un contexte d'effacement de l'Etat économique et d'abaissement de l'Etat social, on assiste, en corollaire, à un renforcement de l'Etat pénal qui tend, de plus en plus, à criminaliser la pauvreté. La "tolérance zéro", promue outre-Atlantique, devient dès lors le complément policier de l'incarcération de masse. La société libérale pourrait donc être caractérisée comme non interventionniste au sommet du système  pour ce qui concerne les entorses à la fiscalité ou aux législation du travail, par exemples  et répressive à la base du système, vis-à-vis des comportements des classes populaires touchées par le sous-emploi, le salariat précaire, le recul de la protection sociale et l'accroissement des déficiences des services publics. L'idéologie libérale permet ainsi de transformer les problèmes politiques et sociaux en problèmes de sécurité nécessitant l'instauration d'un nouveau droit pénal, davantage répressif et sélectif.

            Dans un contexte de forte inégalité redistributive, au fur et à mesure que les frontières nationales s'effacent au profit d'une dérégulation des lois et réglementations, les frontières sociales et ethniques ont tendance à se multiplier ou à être renforcées, engendrant elles-mêmes de nouveaux territoires, de nouvelles valeurs et de nouvelles règles de plus en plus excluantes, attachées au local ou au régional ainsi que de nouveaux pouvoirs de type clanique. Ce mouvement de communautarisation implique, d'une certaine manière, que la société se reforme par le bas en se démultipliant, en rajoutant de nouvelles frontières qui ferment les territoires, isolent les communautés et expulsent les étrangers, c'est-à dire ceux qui ne partagent pas la même identité locale ; la défense des nouveaux territoires sociaux sera progressivement assurée par des forces privées qui se substitueront à l'autorité publique. Telle est la tendance dominante qui se manifeste autant dans les centres commerciaux gardés par des vigiles, qu’au sein des gated communities dotées de leurs propres services publics privés (jardins, clubs sportifs, installations médicales, écoles) et défendues par des policiers privés, ou que dans les bidonvilles populaires placés sous la coupe de bandes organisées ; ces différentes organisations privées possèdent leurs propres règles et codes ayant pour fonctions la constitution d'une identité et la protection contre les intrus de l'extérieur qui ne l'ont pas adoptée : les vagabonds ou les supposés délinquants qui sont harcelés par des fouilles au corps et chassés des centres commerciaux, ceux qui sont réfractaires à la stricte organisation de la vie quotidienne (réglements portant sur la couleurs des volets des maisons, la possession d'enfants ou d'animaux domestiques, la tonte des pelouses) dans les gated communities, ceux qui ne se reconnaissent pas dans les codes sociaux (langage codé, tags, rites, hiérarchies internes) des territoires de banlieue.

            Les Etats dont les responsables institutionnels ainsi que les seigneurs locaux utilisent des milices paramilitaires pour préserver ou renverser les pouvoirs établis participent de la même logique. Seuls résisteront plus longtemps les Etats-nations préalablement constitués qui étaient parvenus à maintenir une autorité publique garantissant le respect des lois à la majorité de leurs citoyens sur la base d'une séparation entre bien public et intérêts privés. Les autres Etats, où la justice pénale ne disposait déjà pas des moyens suffisants pour contrarier le mouvement structurel à une appropriation corruptive clientéliste de la chose publique, adopteront "naturellement" les nouveaux modes de privatisation des territoires, des lois, des réglements et des pouvoirs ; ce processus évolutif aura tendance à y accroître les pratiques de corruption ainsi que l'usage privé de la violence. C'est ce qui explique que les ajustements structurels ont si facilement pu être appliqués en Amérique latine, parce que l'usage privé de la corruption et de la violence était déjà intégré à la structure bureaucratique des Etats, tandis qu'en Afrique ou en Asie, les Etats ne sont encore que partiellement constitués du fait de la survivance de pouvoirs régionaux ethniques ou claniques de type paternaliste.

            Dépassant cette distinction entre anciens et nouveaux Etats pour se greffer indistinctement sur les différentes formes instituées de clientélisme, les mafias apparaissent lorsque ces pratiques de corruption et de démonopolisation de la violence légale deviennent le fait d'acteurs de la marge, reconnus socialement, économiquement et institutionnellement, comme de nouveaux acteurs privés associés au pouvoir politique. Mais le fait le plus important est peut-être que la valorisation d'une grande partie des bénéfices réalisés par ces acteurs dans les régions grises[20] de productions illicites est réinjectée, via les paradis fiscaux, dans les économies légales des régions stabilisées qui sont par ailleurs les principaux pôles de consommation. Il existe donc bien une complémentarité structurelle entre économie criminelle et économie légale.


            Le double mouvement de mondialisation (économique) et de dérégulation (juridique) s'applique donc  également aux organisations illégales qui se grefferont sur la mondialisation pour assurer leur pouvoir économique et sur la communautarisation pour asseoir leur influence politique locale. Celles qui joueront sur les deux tableaux (le mondial et le local) seront les plus puissantes. A travers ce processus, c'est le niveau national des souverainetés qui se trouve progressivement laminé. En effet, les Etats-nations, qui servaient auparavant à réguler les relations transfrontalières, se trouveront de plus en plus débordés par « des réseaux [légaux ou criminels] auto-organisés S qui peuvent se superposer les uns aux autres, mais qui se constituent tous sur un fondement identitaire ou communautaire étroit S et reliés entre eux sur un mode non hiérarchique »[21]. La relation du crime à la société sera elle-même modifiée ; alors qu'auparavant le mythe universaliste du progrès, lié à une croissance économique continue générant une amélioration des conditions de vie, était censé S en se diffusant du centre vers la périphérie S diminuer le désordre (le crime) à l'intérieur du système global, la fragmentation sociale en réseaux communautaires aura tendance à renverser le lien entre centre et périphérie (territoriale et sociale), à valoriser une socialisation par exclusion et à autonomiser le crime. Désormais, on assistera à l'émergence de deux nouveaux types de réseaux : le réseau communautaire universaliste (type internet ou centres commerciaux) qui utilise des règles transparentes génératrices de communication, et socialise les individus par une double relation avec la société globale et entre les membres du groupe communautaire ; et le réseau communautaire particulariste (type sectes ou bandes de délinquants), tendant à se refermer sur lui-même, débouchant sur l'adoption, par ses membres, de signes spécifiques de reconnaissance et de règles secrètes qui confortent l'exclusion, et plaçant l'adhésion communautaire avant les rapports au système global, tout en maintenant une relation conflictuelle avec celui-ci. Ce dernier type de réseau sera le plus perméable à l'infiltration d'acteurs criminels qui profitent du fait que, dans un système global devenant de plus en plus complexe, polycentrique et fragmenté, la marge a tendance à s'institutionnaliser par rapport au centre. Mais, dans tous les cas de réseaux établis, un lien sera préservé avec la société globale, et l'autonomie des communautés ne sera jamais totale car les représentants communautaires (parrains, chefs religieux de sectes, dirigeants de minorités ethniques ou religieuses...) légitimeront leur statut dominant par leur capacité à retirer des avantages (pour eux-mêmes comme pour les membres de leur communauté) de la société globale. Les sociétés dominantes seront donc celles qui acquerront une dynamique optimale en combinant la transparence et le secret au sein des différentes communautés qui les composent.

            La justice pénale a suivi les méandres des transformations sociales et des mutations de l'Etat clientéliste. Alors qu'au XIXe siècle, l'Etat libéral considérait les pauvres et les marginaux comme des étrangers qu'il s'agissait d'exclure, l'administration sanitaire et sociale de l'Etat-providence du XXe siècle s'est attachée à essayer de les réinsérer. Quant à l'Etat néolibéral contemporain, il ne considère plus la criminalité « comme le reflet négatif de la société normale, mais comme le versant opposé et complémentaire de son fonctionnement économique et social »[22]. C'est ainsi que, contrairement au holisme durkheimien, le crime se trouve normalisé autant dans la marge elle-même que dans les interactions institutionnelles qu'il entretient avec le centre légal, notamment à travers les mafias. Certes la marge fait encore partie du tout, mais elle reflète autant le centre (par exemple, lorsque le blanchiment des trafics illégaux utilise des méthodes identiques à celles du blanchiment des bénéfices de la corruption institutionnelle) que le centre réplique la marge (par exemple, par la sous-traitance de l'arbitraire d'Etat à des groupes criminels ou par l'extorsion des populations pour l'accès, théoriquement gratuit, à des services publics) ; dès lors, malgré que les acteurs de ces deux niveaux entretiennent des rapports différents à la loi qu'ils transgressent, ils œuvrent d'une manière complémentaire. Ce schéma ne correspond donc plus à la division du travail durkheimienne qui fondait l'équilibre social sur la différenciation entre des individus atomisés jouissant de leur libre arbitre dans leur espace privé et une « personnalité collective » liée à des solidarités « organiques et contractuelles » s'exprimant au sein de l'espace public et régies par des règles juridiques et morales rendant les individus dépendants les uns des autres. Car, bien que la société ne parvienne plus à se maintenir sur un corps de règles commun à tous les individus, elle n'a cependant pas sombré dans l'anomie et la désorganisation que prédisait Durkheim si les normes morales ou juridiques venaient à perdre leur caractère universel. Au contraire : la société continue à fonctionner, à produire des règles, des organisations, des richesses et du pouvoir, tout cela en l'absence de solidarités partagées et de règles universelles. En effet, le marché contribue maintenant à imposer un mode de régulation sociale qui est de moins en moins vertical S relevant de normes établies par le haut et de lois extérieures aux individus S, et de plus en plus horizontal, établie par le bas, sous forme de contrats et par le consensus, selon des principes "internes" aux individus.

            Il en résulte que le tout et les parties se déterminent mutuellement, ce qui implique qu'il n'y a plus de différenciation entre la société et les individus ; chaque groupe particulier d'individus peut désormais produire sa propre communauté tout en ne remettant pas en cause le cadre global. Pour que les régulations s'opèrent directement entre les parties en dehors de l'espace public, il faut que soit abandonnée la référence à l'Etat-nation qui, en tant qu'instance extérieure dotée d'institutions politiques, structurait les systèmes sociaux. Ce faisant, la distinction entre espace public et espace privé s'estompe, en même temps que celle entre acteurs publics et acteurs privés. C'est ce qui explique l'émergence d'une nouvelle catégorie d'acteurs privés au sein de l'espace public : les mafias. C'est ce qui explique également la fin du monopole de la violence légale par l'Etat. Comment ces différentes parties hétérogènes vont-elles coexister dans un monde ouvert qui n'est plus divisé par les Etats-nations et où les lois ne sont plus ni transcendantes, ni universelles ? Tel est le problème qui justifie l'instauration d'un nouveau droit pénal.

            En effet, le criminel n'est plus celui qui s'oppose à la forme dominante de socialisation ; d'abord parce que de larges communautés S et même des Etats S sont aujourd'hui socialisées par des acteurs criminels, et ensuite parce que de nombreux acteurs du centre légal ont recours, directement ou non, à la criminalité pour assurer leur pouvoir ou accroître leurs richesses. Dans un tel contexte, le droit pénal, qui définit les crimes et délits ainsi que la manière de les réprimer,  n'aura plus pour fonction d'établir des lois communes et transcendantes aux individus, mais de définir des normes minimales de cohabitation entre individus ou groupes sociaux qui sont eux-mêmes soumis à des règles non plus universelles, mais communautaires. Chaque individu, passant d'une communauté privée à une autre (le milieu professionnel, les centres commerciaux, les espaces de loisirs, les églises, un autre quartier que celui où il habite...) devra donc s'adapter sans disposer de la protection d'une loi commune et universelle. L'espace public se restreint et les territoires privés se multiplient qui bénéficient de la tolérance des acteurs publics à condition qu'y soient établies des règles ainsi qu'une police et une justice (les nouveaux juges privés dits "médiateurs", issus, comme les parrains de la mafia, des communautés elles-mêmes) internes chargées de faire respecter ces règles, et qu'ils n'empiètent pas sur les frontières symboliques qui séparent les communautés entre elles. A partir de là, tous les accords contractuels privés entre acteurs de différentes communautés sont permis, le critère n'étant plus celui de la légalité des termes des accords, mais celui de la préservation des intérêts mutuels des contractants. Les hiérarchies peuvent donc être rétablies, non plus en fonction de la différenciation entre acteurs publics et privés, mais selon des rapports de forces entre multiples acteurs privés, les acteurs publics se comportant dès lors comme des acteurs privés. La nouvelle violence légitime trouvera son origine dans les chocs inévitables entre ces différents acteurs privés qui ne pourront s'empêcher d'étendre leurs clientèles en débordant sur les autres communautés, et non plus dans l'opposition entre acteurs publics légaux et acteurs privés criminels qui s'étaient placés dans l'illégalité.

            Le nouveau droit pénal devra donc assurer la coexistence de ces différents groupes communautaires et éviter que la violence ne dégénère jusqu'à faire s'écrouler l'ensemble de l'édifice. En fait, la plupart des acteurs privés ont intérêt à ce que cet édifice soit préservé car c'est en son sein qu'ils entretiennent leurs relations d'intérêts. C'est ce qui explique que le critère dominant du nouveau droit pénal, en accord avec la majorité des acteurs en situation, sera celui de la tolérance des interactions entre le légal et l'illégal à condition que le système glogal, qui autorise ces interactions, soit maintenu, c'est-à dire que les différentes communautés fonctionnant en réseaux soient préservées tant qu'elles ne remettent pas en question le système global. L'Etat n'a donc plus pour fonction principale de mettre en place un cadre légal qui s'applique à tous les individus ; il doit simplement valider les différentes communautés et veiller à ce qu'elles entretiennent de bonnes relations entre elles au sein de la société. Le mouvement général de privatisation communautaire aura donc permis aux acteurs criminels de devenir des acteurs privés normaux et reconnus par l'ensemble du système social. En plus de sa fonction de médiation entre les différentes communautés afin de les préserver au sein de la société légale, la pénalité sera en plus chargée de protéger la liberté des individus d'intégrer ces communautés. Cela explique la floraison de sectes ou de bandes délinquantes bénéficiant de la protection ou de la tolérance des juges. Les bandes délinquantes, parce qu'elles s'excluent des réseaux socialisants dominants, et bien qu'elles soient tolérées car elles socialisent à la marge, ne jouiront cependant que d'une liberté d'action précaire, sauf à conclure des accords de coexistence avec les autorités instituées. Ces accords de coexistence se fonderont sur le critère de pacification des relations avec les autres communautés, quitte à ce que la violence inter-individuelle soit de règle au sein même de la communauté criminelle. Ce qui est désormais puni est ce qui remet en question les interactions entre communautés et non plus le caractère illégal de ces interactions ou les atteintes à la liberté individuelle au sein des communautés ; le critère de stabilité du système global autorise donc une instabilité au sein des communautés qui les composent. Quant à l'individu, il peut de moins en moins se prévaloir de la protection de l'autorité publique ; il doit assurer sa propre sécurité en se mettant sous la coupe d'autorités communautaires privées qui ont tendance à user de plus en plus fréquemment de méthodes arbitraires. Au sein de ce système fédéral néolibéral qui est en train de se mettre en place, les relations entre communautés sont donc du ressort de l'Etat qui se comporte comme un acteur-médiateur privé, tandis que les relations entre les individus sont progressivement déléguées aux autorités communautaires. Mais, à l'intérieur de ce système, où la libre constitution des communautés est première, l'Etat n'est plus la référence commune car il ne dispose ni de la légitimité, ni des moyens suffisants pour contrôler la normalité des communautés au regard du droit pénal. Les nouveaux Etats de démocratie formelle seront ceux qui se préserveront de la domination des acteurs criminels sur leur territoire, non plus en maintenant une frontière symbolique entre le légal et l'illégal, mais en tolérant des interactions entre ces deux niveaux, même si celles-ci débordent du cadre national en s'inscrivant dans le processus de mondialisation des échanges.

            Dès lors, l'autonomie des communautés n'apparaît pas incompatible avec les interactions entre communautés ; c'est ce qui définit le fonctionnement de la société en réseaux privés. Mais c'est ce qui caractérise également la principale transformation politique : la société ne s'organise plus autour d'un espace public transcendant et commun à toutes les communautés puisque, désormais, celles-ci se le sont approprié. Les espaces de rencontre entre membres de communautés différentes se trouvent ainsi considérablement réduits. Finalement, ce qui grippe la structure et qui demeurera puni, ce ne sont pas les actes illégaux, mais le crime isolé (d'individus ou d'organisations criminelles et terroristes) qui s'exerce sans contrepartie communautaire et met en péril l'harmonie intercommunautaire.

            Finalement, les brassages ethniques et l'urbanisation ont donc substitué au nationalisme racial deux autres formes d'exclusion : l'exclusion ethnique ou religieuse symbolisée par un communautarisme qui peut également être lié à l'affirmation d'un nationalisme, comme par exemple en Inde ou en Israël, et l'exclusion économique qui renforce la précédente. Finalement, de nombreux conflits sont provoqués par l'ambiguïté intrinsèque du concept de nation ; en effet, celle-ci peut être interprétée autant comme une communauté politique para-pluriethnique que comme une communauté monoethnico-religieuse dispersée au-delà du territoire national et que les guerres serviraient à réunifier. Selon cette dernière acception, qui justifie tous les conflits de type irrédentiste, l'unité politique devrait se plier aux règles de l'unité ethnique. Il n'en demeure pas moins que même les nations pluriethniques unitaires ont souvent été constituées, au début, par des ethnies dominantes qui se sont imposées aux minorités nationales dans un cadre fédéral (Etats-Unis) ou républicain (France). Dans le monde contemporain libéral, où les Etats sont sans cesse débordés par des revendications d'autonomie régionale ou urbaine, les nations, confrontées elles-mêmes à des mouvements régionalistes ou séparatistes, ne semblent pouvoir être pacifiées qu'à partir soit d'Etats-nations monoethniques (la balkanisation du monde), soit de la création de blocs régionaux transnationaux réhabilitant les régions nationales comme échelon tendant à se substituer aux Etats (le nouveau fédéralisme). Mais dans ces deux derniers cas, la dimension ethnique S ou ethnico-nationale S l'emporte toujours sur la dimension politique et citoyenne, ce qui laisse présager la perpétuation de nombreux conflits régionaux.        

            Si, d'un côté, le "droit des peuples à disposer d'eux-mêmes" est à la base de nombreuses revendications nationales et de multiples séparatismes régionaux (du Kosovo à la Tchétchénie), le séparatisme économique constitue l'autre grande cause de balkanisation du monde (l'émancipation de Singapour vis-à-vis de la Malaisie, la dissociation de la Slovénie d'avec l'ex-Yougoslavie, la séparation de la République tchèque d'avec la Slovaquie, l'éclatement de l'URSS, les Slaves estimant payer trop pour les Républiques musulmanes d'Asie centrale). Il ne fait aucun doute que la pression libérale va augmenter ce type de revendications séparatistes ; mais, le fait de privilégier la prospérité économique par rapport à la puissance territoriale provoquera inévitablement un renforcement de l'inégalité entre les peuples S les puissances mondiales demeurant celles qui conjuguent prospérité économique et puissance territoriale S, une augmentation des "zones grises", où la prospérité économique est tributaire des trafics illégaux, et un déclin des Etats-nations traditionnels qui s'effaceront de plus en plus face à l’émergence des régions intranationales qui gagnent, des blocs régionaux supranationaux et de certains acteurs intermédiaires individuels dépourvus de légitimité mais exerçant une domination autonome ou un pouvoir d'influence croissants (entrepreneurs, groupes de pression, ONG, délégations des organismes internationaux multilatéraux, sectes, paramilitaires, organisations criminelles, mafias).



 

[1]Avec 9 390 morts en 1996, contre 211 en Allemagne, 30 en Grande-Bretagne et 15 au Japon.

 

[2]On parlera de mafia politique lorsque le politique domine le criminel (intégration), et de mafia criminelle lorsque le pouvoir du centre est soumis au pouvoir de la marge (infiltration).

 

[3]Pour preuve, lorsque, à partir de 1998, la production agricole de coca a commencé à chuter au Pérou et en Bolivie, elle a doublé en Colombie bien que ce pays soit devenu le troisième bénéficiaire au monde de l'aide américaine.

 

[4]Dans les années 1980, la Présidence américaine chercha à court-circuiter le Congrès (à majorité démocrate) en finançant, illégalement, grâce aux produit de la vente de missiles à l’Iran (alors que ce pays était frappé d’un embargo sur les ventes d’armes), la fourniture, tout aussi illégale d’armes aux miliciens anti-communistes du Nicaragua (alors que le Congrès américain avait explicitement refusé de continuer à les financer). A travers cet engrenage d’actes illégaux, il ressort que « soit on fait de la collecte et du traitement d'informations, soit on fait de la répression. La collecte, c'est une histoire sans fin : on recrute l'ennemi pour attraper l'ennemi suivant, puis on recrute cet ennemi-là pour attraper le suivant, ad infinitum. La répression, c'est [...], lorsque quelqu'un se dérobe à la justice, on l'attrape, on le juge selon les lois [...] et on l'emprisonne. Si on se borne à exploiter les renseignements, à la fin, on se demande qui exploite qui : les criminels, le public ou la justice. », in John le Carré, "Le directeur de nuit", éd. Robert Laffont, coll. Le livre de poche, 1993, p. 82.

 

[5]Cf. Walzer (M.), Guerres justes et injustes, 1991, Paris, éd. Belin, 1999. Dans son ouvrage, Walzer soutient que, dans certains cas, la guerre peut être juste, c'et-à-dire qu'elle suppose l'exercice d'un jugement moral, lorsqu'il s'agit de s'opposer à une tyrannie ou à une injustice plus grande encore.

 

[6]En décembre 1998, les Etats-Unis ont retiré l'Iran et la Malaisie de leur liste de pays considérés comme d'importants producteurs de drogue (ce qui était le cas de l'Iran, pays décertifié depuis 1987) ou des pays de transit majeur (la Malaisie entrant dans cette catégorie).

 

[7]Cf. Groupe d'action financière sur le blanchiment des capitaux (GAFI), Rapport 1998-1999 sur les typologies du blanchiment de capitaux, publication de l'OCDE.

 

[8]En France, on estime que près de 1 100 quartiers urbains sont "sensibles", parmi lesquels environ 200 présentent des signes de rejet des institutions et d'agression récurrentes contre les représentants de celles-ci.

 

[9]Cf. Wacquant (Loïc), Les prisons de la misère, Paris, éditions Raisons d'agir, 1999.

 

[10]Provoqué par un mimétisme audiovisuel qui fait confondre réalité et virtualité ainsi que par la déstructuration des liens familiaux, l'incivisme débouche sur l'expression d'incivilités (dégradations, crachats, insultes, jets d'objets, gènes de voisinage dues au bruit, non-respect du code la route, alcoolisme...) et contribue fortement à la dégradation des liens sociaux, au racisme primaire, à la déstructuration des espaces publics collectifs et au développement d'un sentiment d'insécurité qui attise également des comportements politiques fascisants ; les incivilités sont particulièrement présentes dans les banlieues et notamment celles qui sont les plus touchées par le chômage des jeunes, mais elles ont aussi tendance à être adoptées par des couches sociales moyennes ou aisées qui y voient là une manière d'exprimer leur agressivité latente (à travers la violence routière, par exemple).

 

[11]Cf. Body-Gendreau (S.) et Le Guennec (N.), Rapport sur les violences urbaines, Ministère de l'intérieur, mai 1998.

 

[12]Cf. Conseil national des villes, Etude sur l'économie souterraine de la drogue : le cas de Paris, Institut de recherche en épidémiologie de la pharmacodépendance (IREP), décembre 1995.

 

[13]Cf. Putnam (R. D.), Making Democraty Work : Civic Traditions in Modern Italy, Princeton, Princeton University Press, 1993 ; l'auteur y définit le « capital social » comme l'ensemble des traits caractéristiques sur lesquels se fonde l'organisation sociale, tels la confiance, les règles admises et les réseaux de relations qui, en facilitant la coordination des actions, peuvent améliorer l'efficacité de la société.

 

[14]En France, il y a plus de 10 000 policiers municipaux et 100 000 agents de sécurité aux côtés de 220 000 policiers et gendarmes ; à titre de comparaison, la ville de New York compte 38 000 policiers pour une mégapole de sept millions d'habitants.

 

[15]En 1996, les Etats-Unis comptaient 1 640 000 détenus, soit 1 détenu pour 63 habitants ; entre 1973 et 1997, le nombre de détenus a été multiplié par cinq ; le taux d'incarcération y est de six à dix fois supérieur à celui des pays de l'UE (il était, en 1993, de 645 détenus pour 100 000 habitants aux Etats-Unis, alors que dans les pays de l'UE, il varie entre 60 et 90, dont 84 en France) ; ce chiffre peut être rapporté à celui de la Russie qui a la plus forte concentration carcérale du monde : 1,2 million de détenus (chiffres de 1998, rapporté par Le Monde du 8 mai 1999), soit 685 personnes pour 100 000 habitants.

 

[16]Cf. Loïc Wacquant, "L'emprisonnement des classes dangereuses aux Etats-Unis", in Le Monde Diplomatique, juillet 1998.

 

[17]En Europe, ce taux n'excède pas 40 %, ce qui est déjà énorme.

 

[18]Cité par Le Monde du 18 juin 1998.

 

[19]Les pays qui ont appliqué avec le plus de vigueur les politiques libérales sont : les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la Nouvelle-Zélande, la République tchèque, le Chili, l'Argentine, le Bénin, le Ghana.

 

[20]Les régions grises sont autant les pays où les activités illégales se développent sur une grande échelle au vu et au su des représentants de l'Etat que les zones périphériques de non-droit des villes du Nord et que les zones franches où les acteurs économiques et sociaux jouissent de l'officialisation de leurs pratiques clandestines et sont dispensés des contraintes d'intérêt général. 

[21]Maillard (J. de), "Le crime à venir", in Le Débat, nº 94, mars-avril 1997, p. 104. 

[22]Idem, p. 115.